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La route

Il y eut un grand éclair aveuglant, flammes gigantesques et ténèbres fumantes, puis le monde civilisé comme il fut connu cessa d’exister. Il devint un champ de ruines, de poussière carbonisée fait de gris et de pluie, cauchemar monochrome où la boue s’égale à la crasse qui elle-même s’égale au goût du sang. Qu’importe alors les causes du ravage, de l’anéantissement, guerre nucléaire ou catastrophe écologique, désormais il faut pouvoir réapprendre à vivre dans l’âpreté des gestes élémentaires. Tous les actes les plus simples (d’avant) sont devenus les plus primordiaux : se nourrir, se cacher, marcher et marcher encore, s’abriter du froid et des averses qui semblent ne jamais vouloir s’arrêter. Et la terre craque continuellement, gronde aussi, arrache les arbres, s’acharne à punir les hommes comme une furie que rien n’émeut, que rien n’apaise d’une possible clémence.

Dans les méandres sans fin de cette désolation achevée, un père et un fils errent vers des contrées plus hospitalières, fuguent comme à l’agonie, luttant contre la faim, la mort et l’envie parfois d’en finir quand l’espoir des jours meilleurs s’étiole aussi vite qu’un corps qui maigrit, se courbe et se dessèche. Le père rêve et s’égare : quelles valeurs enseigner à un fils dans la tourmente d’un monde qui n’en est plus un, livré aux cadavres, à la loi du plus fort et à la bestialité des hommes revenus à la tourbe, aux instincts des premiers temps ? Qui est bon, qui est méchant, demande souvent le fils. Les pilleurs, les hordes de cannibales, un père abandonnant un vieillard ou un homme dépouillé de tout, laissé nu sur un chemin de sable ?

Si survivre est l’enjeu forcément principal (et le plus évident) du film, celui de la transmission en est le second qui palpite en secret et en son cœur. Et l’idée que cette transmission puisse s’éteindre (parvenir à "porter le feu", quoi qu’il arrive) paraît inconcevable pour ce père si démuni face à l’innocence de son fils, et la fin concrétise, dans un dernier regard, ce passage de relais essentiel malgré le néant autour. La route est un film d’une profonde mélancolie et d’une grande sensibilité ; il frémit, il ébranle, il tremble d’une beauté saisissante où chaque plan vient doucement impressionner (beaucoup sont à couper le souffle et le souci de réalisme dans la reconstitution du chaos est proprement fascinant).

La mise en scène de John Hillcoat est presque délicate, terrienne et sans esbroufe, préférant valoriser, accompagner le jeu des émotions et des acteurs (Viggo Mortensen, évidemment génial, et le jeune Kodi Smit-McPhee, prometteur) plutôt que la démesure esthétique d’une apocalypse sans plus d’originalité. Si, dans son derniers tiers, le film perd de sa puissance et de son rythme, il évoque en entier, de façon libre et autonome, Les fils de l'homme et La guerre des mondes, grandes œuvres elles aussi passionnantes et sans concession qui, dans un spasme contemplatif, égratigne l’élan existentiel d’une humanité réduite avant tout à sa survie primitive, et ce au détriment de toute bonté et de toute compassion.


John Hillcoat sur SEUIL CRITIQUE(S) : Des hommes sans loi, Triple 9.

La route
Tag(s) : #Films

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