Farmington, quartier dur de Los Angeles, loin des dorures de Beverly Hills et de la frime de Malibu. Zone désoeuvrée, défavorisée, violente, un chaos existentiel permanent sans pitié pour les faibles et les hésitants, broyés par une logique illogique de loi naturelle (celle du plus fort). Loi des armes et des gangs également, constitutions claniques et multiraciales suivant des hiérarchies définies, versatiles, des règles et des principes appliqués selon l’instant et la situation, réversibles à l’infini, avec, toujours en conséquence, la mort en pagaille, valse cadavérique qui fauche sans distinction dans les rues et les arrière-cours. Les pires crimes et délits sont ici exposés tel un manuel de criminologie faisant état ; le grand spectre du sordide oscille constamment entre ses deux extrêmes, du braquage minable de supérette au viol et meurtre pédophiles, de la dispute conjugale au lynchage d’un adolescent.
Dans cet abîme de déchéance humaine, les flics d’un commissariat en survivance tentent de maintenir un semblant d’ordre moral et social, quitte à parfois se servir des mêmes méthodes que la lie des bas quartiers. C’est en particulier le cas pour la strike team, groupe de quatre flics border line emmené par un leader charismatique, Vic Mackey, mal nécessaire peu scrupuleux, violent, instable et père de trois enfants. Ce décalage frappant entre la sphère privée et professionnelle permet de complexifier et nuancer la personnalité de Mackey. S’il est capable de tuer un flic prêt à dénoncer ses magouilles et ses trafics (saison 1) ou de torturer à mort un suspect (saison 6), il reste un farouche défenseur de la veuve et de l’orphelin, justicier implacable dès qu’il s’agit de protéger ou de venger.
Cette dichotomie morale passionnante sera cependant passablement estompée au fil des saisons, transformant Mackey en super-flic revenu plus ou moins dans la norme (surtout dans la saison 4), ses seuls travers restant les moyens utilisés (violences, chantages, pressions, arrangements licencieux) pour mener à bien ses enquêtes. À partir de la saison 5, et jusqu’au final, la série opère un décalque radical avec les premières saisons : on assiste désormais à la lente destruction de la strike team qui n’est plus que l’ombre d’elle-même. La mort a frappé, les amitiés ont volées en éclats, les pressions s’accumulent, les trahisons s’organisent, et Mackey est devenu un chien enragé, traqué, pris à son propre piège et cherchant désespérément une issue à l’échec irrémédiable (et général) qui s’annonce.
En périphérie de cette figure centrale, d’autres profils et enjeux viennent enrichir le récit (le plus souvent construit sur plusieurs niveaux), d’autres enquêtes aussi avec différents personnages (Dutch, Claudette, Steve, Justin et Dani) jalonnant l’intrigue principale et de l’épisode, et de la saison (sans oublier les indispensables querelles individuelles et professionnelles). Les scènes d’interrogatoires sont très prisées, toujours tendues et excitantes, et le rythme constant, entretenu par une mise en scène nerveuse (caméra portée, cuts abrupts), rapproche l’ensemble à un documentaire. Cette série noire sous un soleil brûlant, qui reprend l’atmosphère glauque d’un Los Angeles des bas-fonds vue dans Starsky et Hutch, accroche par sa vigueur formelle, sa violence physique et psychologique, et sa tonalité dépressive quant à la vision d’une société décrépie incapable de s’en sortir.