L’argent, dès gamin et dès l’enfance, dans les bidonvilles, dans la misère et la souffrance. Mais l’amour aussi, dès les premiers âges, dès l’adolescence et ses tourments, l’amour triomphant des épreuves les plus abominables jusqu’aux plus dérisoires, et parce que l’amour c’est beau, l’amour ça vous transporte, l'amour c’est noble surtout quand on est miséreux et qu’il ne reste qu’à se persuader de ça pour pouvoir vivre sans l’ombre d’un problème. Certes, Slumdog millionaire se veut comme un conte moderne et naïf ancré dans une réalité terrifiante, mais pilonné ainsi avec tant d’emphase, claironné avec tant d’esbroufe, le propos demeure superficiel, idéaliste et vain.
Quand la population mondiale compte plus d’un milliard de pauvres, que le libéralisme économique galopant augmente les phénomènes d’exclusion et de précarité, difficile de souscrire, et même le temps d’un interlude exotique gentiment optimiste, à une morale si béate, à un message si onctueux asséné avec peu de recul. À travers les sinuosités d’une Inde pouilleuse, dangereuse et nécessiteuse, deux frères aux parcours divergents (l’un vers le fric rapide, la gloire factice, l’autre vers la passion, le succès sans reproche) démontrent la mécanique des sentiments plus forts que tout ; du courage et de la pugnacité plus invincibles que la corruption, la violence et les trafics d’enfants.
Cet enseignement illusoire demeure peu convaincant par rapport au souffle formel du film, à son effervescence continue. Toute cette énergie, toute cette débauche de couleurs, de rythme et de musique pour un discours à tel point biaisé, négligeable… Et si le gimmick scénaristique tourne assez vite en rond (pour chaque réponse, un souvenir), finissant par lasser plus que par surprendre, le dénouement apporte, miraculeusement, une émotion ténue qui parvient à secouer, honorée par un générique de fin euphorisant sur fond de chorégraphie bollywoodienne. Fourre-tout, stylé, speedé, disparate, généreux, stupide, brassant les genres avec peu de retenue, Slumdog millionaire est un objet étrange et clinquant, exercice de style électrisé souffrant d’une éthique de plomb à laquelle il est utopique de croire (mais le cinéma sert aussi à ça), et même avec la meilleure des meilleures volontés du monde.
Danny Boyle sur SEUIL CRITIQUE(S) : La saga 28, Sunshine, 127 heures, Trance, Steve Jobs, T2 Trainspotting.