On n’avait plus beaucoup de nouvelles de Thomas Vinterberg qui, en 1998, marqua fortement les esprits cinéphiles avec son désormais culte et "dogmatique" Festen. C’était, depuis, un peu morne plaine pour le réalisateur danois (It’s all about love fut un échec cuisant malgré l’ambition du projet) et Submarino, presque dix ans après Festen, vient à nouveau confirmer le talent d’un Vinterberg retrouvé, inspiré dans l’étude sans concession du pessimisme humain et de drames familiaux envisagés comme une malédiction.
Adapté d’un roman de Jonas T. Bengtsson, Submarino parle du destin de deux frères brisé, dès l’enfance, par la pauvreté, la mort et l’absence, et essayant de s’en sortir du mieux qu’ils peuvent (ou comme ils peuvent) par un semblant d’amour et d’amitié pour l’un, avec un enfant et sous l’emprise de la drogue pour l’autre. Ils avancent, titubent aussi, se traînent dans le froid glacial d’une Copenhague inhospitalière, irréelle comme une espèce d’enfer, chacun avec ses doutes, chacun avec ses failles, maladroitement camouflés sous une carrure d’athlète ou derrière une désarmante fragilité.
Le film promène un désespoir carabiné, noir de chez noir, mais pourtant jamais complètement asséné, toujours à la marge du presque trop. Submarino vogue comme en sursis, sans cesse. L’image est grise (mais superbe), semble dévorer la moindre couleur. Le film, qui a quelque chose d’angélique, est dépressif à un point, et pourtant il s’en dégage un incroyable sentiment de vie, de puissance et d’espoir. Aucun effet superflu (ou si peu), pas de misérabilisme non plus en dépit d’une effroyable vision de l’existence qui laisse impuissant, profondément bouleversé (les personnages comme le spectateur), et cette existence, marginale, est faite d’alcool et de foyers, de blessures secrètes ou plus physiques, et d’une mort présente à tous les instants de ce monde tel un requiem (entendu à deux moments-clés du film) que rien ne semble arrêter.
Les deux comédiens, exceptionnels de présence et d’intensité, sont pour beaucoup dans cette fièvre, dans ces tremblements à fleur de peau paraissant briller dans les ténèbres d’un quotidien qui s’est détraqué. Et ces rôles qu’ils portent à bout de bras sont comme en équilibre sur la vie, sur chaque jour un peu plus sombre que celui d’avant. Vinterberg a une belle, une gigantesque tendresse pour ses personnages, permettant une empathie sincère jusque dans ces moments terribles où ils s’acharnent même à sombrer, à se noyer coûte que coûte (s’accuser d’un crime, sacrifier son fils).
Submarino parle également de filiation, de deuil impossible, d’héritage social inévitable (la misère appelant la misère) et du fait de pouvoir y échapper, peut-être, et d’un amour fraternel très fort, mais toujours empêché dans ses élans. Un film pur (la magnifique séquence du baptême qui ouvre et termine le film) et très dur (la scène du père, au téléphone, qui raccroche à son garçon en pleurs), un choc bourré d’émotions et de tourments, de larmes et d’oraisons, et qui laisse à terre comme au réveil d’une trop brutale gueule de bois.
Thomas Vinterberg sur SEUIL CRITIQUE(S) : Drunk.