Martin Kazinski est un monsieur Tout-le-monde, ni héros ni salaud, un homme ordinaire, la quarantaine, célibataire, moche (Kad Merad, ad hoc), un travail routinier et une vie qui l’est plus encore. Un matin, voilà qu’on le reconnaît dans le métro. Les gens le regardent, les gens lui parlent, les gens le filment et le prennent en photo, veulent un autographe, le poursuivent. Du jour au lendemain, Martin est devenu une star sans qu’il sache pourquoi, sur un malentendu, par inadvertance, par erreur sans doute, et tenter de le comprendre ne fera qu’empirer les choses (le scénario est malin : on ne saura jamais pourquoi Martin devient célèbre, et encore moins pourquoi il ne le sera plus).
Xavier Giannoli adapte le roman de Serge Joncour (L’idole) et mélange Guy Debord, The Truman show, cauchemar surréaliste et Secret story pour un drôle de résultat un peu bâtard, un peu loupé (baisses de rythme dans la deuxième partie, fin ratée), mais pas mal réussi quand même. La charge est chargée, jamais loin de la caricature, enfonce des portes ouvertes, vilipende sans remettre en cause, mais ce côté appuyé est à prendre comme tel, comme une grosse farce (la scène du Kleenex), pour pouvoir l’apprécier en entier et apercevoir derrière les rouages de nos sociétés du vide où tout s’expose et tout se vend sans même qu’il y ait de sens, sinon celui des goûts imbéciles d’un public auto-abruti (dans un dessin vachard de Wolinski, celui-ci faisait dire à une présentatrice télé aux seins nus : "Salut les cons. Ici Télé-con faite par les cons pour les cons").
Giannoli parle de tout : dérive des médias et d’Internet, de la télé poubelle, de la célébrité-minute. De l’uniformisation et de la simplification de la pensée, du socialement et du politiquement correct (au moindre dérapage, le monde entier s’emballe, c’est la curée puis la contrition obligatoire). Les quinze minutes de gloire promises par Warhol ont tourné au vinaigre. Désormais, quinze secondes suffisent pour se retrouver menacé de mort sur YouTube parce qu’on a mis un chat dans une poubelle ou banni par-delà les continents via Twitter parce qu’on a fait une pauvre blague sur les youpins, les pédés, les nègres, les trisos, les jeux vidéo ou Mahomet.
Martin s’en rendra vite compte, lui qui cherche à retrouver son anonymat le plus vite possible sans même essayer de se révolter, mais rattrapé par un temps instantané, condensé en à peine quelques heures, et une récupération absurde de ses moindres faits et gestes (un cri, une phrase, une façon de préparer des pâtes…). Martin ne s’appartient plus. Il est devenu un produit, une icône du rien à la renommée artificielle qu’on expose sur des plateaux télé, dans des bars à putes ou sur une page Facebook. Les gens aujourd’hui n’ont pas compris où était le véritable enjeu du truc, l’enjeu de n’être plus accessible, marchandisé, hyper-visible, mais invisible justement, "banal", sans profil, un lambda 2.0 qui n’aurait plus aucune référence sur Google. Pour vivre heureux, vivons déconnectés.
Où peut être le bénéfice (l’illusion d’un droit, d’une liberté ?) de montrer à tous ses dernières photos de vacances, de soirée, d’échographie, d’étaler sa vie privée pareille finalement à celle de milliers d’autres, de buzzer ce que l’on écoute, retweeter ce que l’on aime, liker ce que l’on pense, comme une sorte de légitimation de son existence, une valorisation de son ego social passant par l’écran des autres (je poste, donc je suis) ? Il vaut mieux savoir en rire (le film a quelque chose d’une ironie amère, d’un désespoir comique) parce que c’est le monde actuel qui grésille sans cesse autour de nous, monde où tout se termine en millions de clics, en publicités personnalisées ou par un livre sans aucun intérêt, témoignage d’une vie fabriquée écrit par un homme de paille. L’artifice, toujours.
Xavier Giannoli sur SEUIL CRITIQUE(S) : À l'origine.