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Tabou

Avant même sa sortie officielle, Tabou a charrié dans son sillage tant d’éloges et tant de belles promesses qu’on ne pouvait, forcément, qu’y croire les yeux fermés et la gueule ouverte comme recevant l’hostie, et puis un délire critique collectif aussi qui, finalement, se révèle à l’aune d’une déception brutale et sans appel. Aurora, vieille femme au tempérament affirmé, s’éteint le premier jour d’une nouvelle année qui commence. Sa voisine de palier, Pilar, parvient à retrouver son amant de l’époque, Ventura, qui se rappelle alors leur destin tragique en Afrique où Aurora avait une ferme (Karen aussi dans Out of Africa), au Mozambique au pied du mont Tabou où elle vivait avec son mari, chassait dans la savane et élevait un jeune crocodile qui passait son temps à s’enfuir.

Le film, scindé en deux parties égales (l’une à Lisbonne aujourd’hui, l’autre en Afrique il y a longtemps), souffre pourtant de ce doublon scénaristique et esthétique. La première partie est interminable (par exemple quand Aurora raconte longuement un de ses rêves), léthargique au possible, mal interprétée, voire totalement inutile. En soi, elle n’apporte presque rien par rapport à la deuxième partie, si ce n’est de présenter les deux personnages-clés du film et d’offrir des échos, ici et là (un manège en forme de crocodile, une vieille chanson entendue au cinéma, un chapeau en cuir, une jungle artificielle dans un centre commercial…), censés saisir les vibrations du temps, mais alors dix minutes à peine suffisaient pour évoquer cela, largement.

À la place, une heure filandreuse et ennuyeuse à suivre Pilar dont l’histoire, inintéressante à un point, pourra trouver quelques résonances ou parfaits écarts avec celle d’Aurora dans le passé (sauf que non, le parallèle entre les deux femmes est flou et chiche en points symboliques, si ce n’est qu’elles restent malheureuses en amour). La deuxième partie, en revanche, est superbe, un genre de mirage cotonneux (comme ce mont Tabou toujours au loin, diffus et imposant à la fois, et qui n’existe même pas), de comète cinématographique retrouvant l’exotisme suranné d’anciens films d’aventures hollywoodiens (Les neiges du Kilimandjaro, La reine africaine, Hatari !…).

Ce deuxième film dans le film est sans parole (ne résonne plus que la voix off de Ventura, traînante et enveloppante), mais les sons autour ont été conservés (le décalage est saisissant, les acteurs faisant semblant de parler, muets comme par amusement, silencieux comme par défi), comme si les mots, eux, s’étaient perdus, soustraits à la mémoire de Ventura (mais pas les moindres bruits, et surtout pas le drame à l’œuvre). Quand la première partie, tunnel sans fin, s’égrène en peu de jours, la deuxième, mélo fantasque, se déploie sur plusieurs mois, neuf exactement, le temps qu’un bébé naisse enfin. Jolie distorsion du temps ramenant les événements du monde (guérilla, colonisation…) et de l’intime, d’hier ou d’aujourd’hui, à une échelle affolée où ne subsisterait plus que les cendres d’un amour perdu.

Miguel Gomes dit s’être inspiré, entre autres, des souvenirs lointains qu’il a du cinéma de Friedrich Wilhelm Murnau, ne serait-ce que dans le titre de son film, ses deux parties distinctes ("Paradis" et "Paradis perdu"), le prénom de son héroïne (L’aurore) et jusque dans ses thématiques générales (amour interdit avec, toujours, la mort pour conséquence). La partie en Afrique, magnifiée par un noir et blanc retrouvant la texture granuleuse des pellicules d’antan, compose un film envoûtant et libre (il a été souvent improvisé, suivant une ligne directrice vaguement précise) sur une passion adultère, entière et destructrice (ils sont, autour du feu, comme deux spectres hantés par leur propre fatalité), malheureusement gâchée par une première heure médiocre dont on se demandera longtemps pourquoi même elle a été envisagée.

Tabou
Tag(s) : #Films

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