Qui connaît Télé bocal ? Au milieu des années 90, Michel Leclerc a travaillé au sein de la célèbre télé associative (toujours active aujourd’hui), et Télé gaucho raconte l’histoire de cette période bouillonnante en s’inspirant de sa propre expérience, tout comme Le nom des gens narrait la rencontre avec sa future femme. Contrairement au personnage d’Arthur Martin, double revendiqué du réalisateur, Leclerc choisit cette fois un jeune héros candide (Victor, "stagiaire" à Télé gaucho) qui sera notre guide tout au long du film. Naïf et cinéphile (il cite Godard, Truffaut et Rossellini tout en se prenant pour eux, rêvant lui aussi d’une carrière pleine de bravos et de tapis rouges), avec Antoine Doinel comme modèle indémodable, Victor va connaître joies et désillusions professionnelles (et de cœur aussi), tout en amorçant un passage vers l’âge adulte.
Dans un joyeux bordel organisé (ou pas), Leclerc suit sa petite troupe de trublions nickelés gentiment anars qui tient davantage du gang bang politico-bobo que d’une réelle structure organisée à base de programmes clairs et précis. Ça gueule (dans les manifs), ça s’engueule (pour une histoire de succession, de housse de micro…), ça chante (faux), ça s’aime (pour de vrai) et ça fait des bébés. Pas besoin d'axes et de lignes critiques, la révolte sociale est everywhere (l’ennemi, c’est la télé consumériste ; l’ennemi, c’est la droite et le capital), et puis il faut pouvoir défendre et faire entendre absolument tout le monde, tout le temps, tous les jours (les sans-papiers, les sans-logis, les étrangers, les pauvres, les femmes, les homosexuels…). Les tacles sont nécessaires, et Leclerc n’hésite pas à railler, mais enfonce quand même pas mal de portes ouvertes (surtout quand il se gausse de l’univers télévisuel).
C’est spontané et béat tout plein (à l’image de Victor), politiquement correct, inoffensif et presque manichéen dans cette vision de lutte sociale aux convictions éculées (les gens de gauche sont cools et ouverts, les gens de droite sont pas cools et pas ouverts). C’est un peu long par moments et quelques intrigues ne sont pas vraiment nécessaires (ni probantes). Les comédiens se déchaînent (Moati, Forestier, Elmosino, Maïwenn…) et s’amusent comme des gamins (on montre ses fesses, on montre ses seins, on montre les dents…), limite en roue libre. Un peu de cul et d’irrévérence, pas mal d’idées (des bonnes comme des mauvaises), une époque toute proche qui paraît déjà préhistorique (pas d’Internet, pas de portable, pas de cinéma 3D, pas de YouTube et pas de Facebook…), un souffle libertaire, du cinéma et des amis : Télé gaucho se gargarise à la bonne humeur populaire, ambiance fête de l’Huma sans gadoue ni Jean-Louis Aubert.