Quatre hommes et quatre femmes, âges variés, préoccupations différentes, plusieurs possibilités. La belle équation de Tell me you love me, la série avortée, boudée et mal aimée d’HBO (à l’instar de l’intrigante John from Cincinnati), déchiffre et décortique, avec un sens du détail remarquable, la vie privée du couple jusque dans ses étreintes charnelles (et très personnelles). Présentation : il y a Jamie et Hugo, la trentaine et prêts à se marier, Carolyn et Palek, aisés mais en mal de bébé, et Dave et Katie, la quarantaine, deux enfants, mais plus aucune libido. Et puis il y a May et Arthur, septuagénaires épanouis ; May est psychothérapeute et reçoit à son cabinet ces trois couples en détresse, couples qui se déchirent, se disloquent, en tout cas se comprennent peu ou ne se comprennent plus, tout en continuant à s’aimer terriblement.
Lors sa diffusion en 2007, la série fit grand bruit en raison (surtout) de ses nombreuses scènes de sexe très explicites, et certain(e)s allèrent jusqu’à dire qu’elles étaient, en partie, non simulées (Tell me you love me, première série pornographique avant Hard et Xanadu ?). Polémique stérile évidemment (qu’on se remémore celles du Diable au corps de Marco Bellocchio ou du Brown bunny de Vincent Gallo où la représentation de l’acte - une fellation - posait la question de l’authenticité ou non de l’attribut sexuel en lui-même), mais qui contribua à faire parler de la série un peu partout. Les fameuses scènes en question ne sont en rien scabreuses. Certes, elles ne cachent pas grand-chose de l’anatomie des acteurs et se refusent aux moindres compromis, mais elles ne procurent jamais un quelconque plaisir exhibitionniste, malsain et/ou sensationnel ; tout reste concret, mais pas racoleur. Au contraire, complètement désacralisé, vidé de son érotisme premier, le sexe devient, simplement, un élément ordinaire, un instant anodin dans la cellule du couple (mais sans réduire son importance, nécessaire au sein des intrigues, en particulier autour de Dave et Katie), au même titre qu’une engueulade, qu’un dîner en ville ou qu’une soirée devant la télévision.
C’est montrer l’ébat signifiant dans sa normalité (et même dans sa banalité), dans sa réalité crue (chairs vieillies, déconvenues, coïts rapides, envies empêchées) pour en défaire, en considérer ses mécanismes divers par les pratiques usuelles, rabâchées, par des scénarios fantasmés (coup d’un soir dans les cuisines d’un restaurant, lingerie sexy offerte pour un anniversaire de mariage…) ou des mots précis, très directs (voir, ou plutôt entendre, la scène où Carolyn excite Palek au téléphone). La série aborde différentes problématiques relationnelles pouvant être rencontrées, à un moment ou un autre, dans un rapport établi : hésitations et remises en question, pour une parole (Jamie et Hugo) ou pour un geste, pour des envies qui se sont amoindries, résiliées (Dave et Katie), ou pour un désir d’aller plus loin, d’être parents (Carolyn et Palek). Chaque difficulté abordée paraît quelque peu restreinte dans sa spécificité donnée (avec une vague impression de "catalogue de névroses"), révélant en tout cas les fêlures et le mal-être qui, chaque jour, freinent les attentes et les épanouissements : Palek ne veut pas, ne peut pas être père parce qu’il a toujours haï le sien, Dave ne désire plus sa femme et se masturbe en secret, Jamie se sert du sexe comme une échappatoire à ses sentiments…
Si les personnages, sans cesse, se disent "Je t’aime", jamais en revanche ils ne parviennent à concrétiser, à porter cet amour au-delà de la parole (chez May) et des faits (dans leur quotidien), amour qui pourtant les unit, les rapproche, mais en même temps les fait s’éloigner l’un de l’autre. Tous, au cœur d’une routine, d’une distance qui s’est installée l’air de rien, cherchent à savoir qui ils sont, à (ré)apprendre l’art d’être (un peu) plus heureux, à comprendre les limites, les manifestations de leur personnalité, et à faire avec si c’est possible. Difficile de ne pas se projeter, difficile de ne pas y voir nos propres histoires, nos propres échos et nos propres faiblesses également, la série entretenant un rapport de proximité assez étonnant avec le spectateur dans les interrogations relevées, dans les événements qu’elle propose et qu’elle décrit tout au long des dix épisodes qui semblent avoir été écrits pour lui.
Contiguïté troublante entre la fiction du couple, ici si proche du réel, et sa vérité visible, recrachée, maintes fois mise en scène (Psy show, Confessions intimes, The Jerry Springer show…). Sans fioriture, sans glamour et sans faire de cadeaux, sèche et vulnérable (une telle série avait forcément peu de chance de plaire à un public américain pourtant friand de situations "vécues", in situ, et de déballages conjugaux ourdis par une télé poubelle), Tell me you love me creuse jusqu’à l’os la matière brute et bouillante du couple, dissèque, toujours avec pudeur, les crises, les états d’âme, les désordres et les intimités où la passion s’altère par manque de confiance, de temps et/ou d’affinités.
Tell me you love me finit par entêter, bouleverse très souvent (Ally Walker, dans le rôle de Katie, est magnifique), orfèvrerie télévisuelle d’une grande beauté (une caméra mobile qui capte au plus près les visages, les corps, les blessures) et d’une grande mélancolie aussi, de modernes solitudes à blues indélébile. Ce qui retient également, ce qui happe, ce sont des dialogues d’une rare intelligence, intelligence perceptible jusque dans les silences, dans les gênes et les multiples malaises. La création de Cynthia Mort, emmenée par des comédiens extraordinaires, investis entièrement dans les enjeux de leur interprétation, cerne, au plus près des émotions, les défaillances et les tremblements de la vie à deux, jamais évidente, jamais facile.