Avec ses vrais faux airs ronchons, Pascal Elbé, acteur plaisant et toujours sympathique, se lance aujourd’hui dans sa première mise en scène cinématographique. Loin de l’univers des comédies dans lequel il a souvent évolué, Elbé y préfère, avec Tête de Turc, un ton plus austère et plus dramatique. Il applique à son œuvre la structure du film choral, genre dont le style fut, entre autres, brillamment illustré par Robert Altman (Nashville dès 1975, puis The Player et Short cuts). Si Collision, The yards et les films d’Iñárritu viennent naturellement à l’esprit, c’est avant tout à Babel que Tête de Turc peut, en partie, être comparé. Ce sont les répercussions d’un geste irrémédiable (coup de fusil ou cocktail Molotov, accidentel ou volontaire) qu’Elbé va observer dans les remous d’un destin fragile et pluriel.
Étrangement, rien ne fonctionne jamais dans son film. Les protagonistes restent enfermés dans leur propre logique narrative, leur simple fonction stéréotypée (la mère courage, la meilleure amie affranchie, le flic imperturbable, le mari meurtri…), et c’est plus qu’évident par rapport aux personnages joués par Florence Thomassin et Simon Abkarian, mal écrits, très sommairement développés ou ne servant qu’à des facilités scénaristiques. D’autre part, Elbé cherche à enclencher trop de sujets, à développer trop d’enjeux, associant maladroitement l’intime au social sans vraiment de pertinence.
La banlieue, les cités à l’abandon, la violence quotidienne, la famille, la culpabilité, tous les thèmes restent balisés, éparpillés, empêchant une émotion et une fermeté dans la continuité des intrigues qui en deviennent superflues, inconsistantes (on frôle parfois le cliché, comme par exemple dans l’évocation d’un énième secret de famille qui n’apporte strictement rien en soi). Le film est comme figé dans ses intentions et son discours, court-circuitant une éventuelle audace et parfois jusqu’au jeu des acteurs (Adèle Exarchopoulos est très mauvaise, Rochdy Zem a un style trop démonstratif, Samir Makhlouf manque de fièvre). Malgré l’honnêteté de l’ensemble, la sécheresse de la mise en scène et la qualité de la photographie, il manque à Tête de Turc une grande et belle étincelle ; en l’état, rien ne dépasse, ne surprend ou ne pique jamais au vif.