Derek Cianfrance s’est fait remarquer en 2010 avec Blue Valentine, autopsie d’un jeune couple en crise avec, déjà, un Ryan Gosling pas encore canonisé par Nicolas Winding Refn. Désormais bankable à mort, Gosling revient jouer chez son pote dans cette histoire de cascadeur (encore un) à moto qui devient papa-braqueur au grand cœur pour subvenir aux besoins de son ex et de son fils, et dont les erreurs empoisonneront, des années plus tard, la vie de ceux qu’il a croisé (et leur descendance). Sauf que Gosling laisse rapidement la place à Bradley Cooper, flic modèle aux larges ambitions professionnelles, qui la laisse ensuite à Dan DeHaan (un des gamins découvert dans Chronicle) qui confirme ici un talent plus que prometteur. En gros, trois films en un seul sur les revers et les résonances du destin.
Il n’y a pas spécialement grand-chose à reprocher au film (c’est plutôt bien réalisé, c’est bien joué et c’est bien mis en lumière par Sean Bobbitt qui travailla sur Hunger et sur Shame), sauf qu’il n’a rien d’intrinsèquement original à raconter. Si donc la structure du film s’avère relativement audacieuse, dommage en revanche pour l’histoire qui ressasse quelques vieux thèmes fatigués, cherchant à embrasser sur plus de quinze ans, de façon volontaire mais classique, la chronique sans éclat de familles hantées par le poids de la filiation, du rachat et du pardon. Cianfrance a voulu trop bien faire (forme recherchée, durée conséquente, casting béton même si Eva Mendes et surtout Rose Byrne sont honteusement sous-exploitées), mais sans dépasser cette simple (et unique ?) envie, laissant de côté émotions, empathies et spectateur, indifférent à la longue à ce qui se trame à l’écran.
Avec trois parties distinctes (mais liées), The place beyond the pines se bâtit forcément d’énergies antagonistes et de mouvements inégaux. La première partie avec Gosling, qui rappellera vaguement les grandes lignes de Drive, pose davantage les bases de l’intrigue sans proposer de récit convaincant, mais profite au moins du jeu mutique et magnétique de l’acteur, couvert de tatouages comme De Niro dans Les nerfs à vif. La deuxième avec Cooper s’embarque dans une histoire déjà vue, quoique assez intéressante, de policiers corrompus et de culpabilité dévorante. La troisième enfin se penche sur la rencontre de deux adolescents en mal de transmission paternelle et rattrapés par les fantômes du passé. Tout cela se mêle et s’emboîte pour donner un long-métrage bancal voulant, semble-t-il, faire œuvre de référence dans le genre, mais laissant derrière lui, plus certainement, un film quelconque qui s’égare dans sa propre prétention.