Monstres et cætera 3/7 - 1982
Trois ans après la sortie d’Alien, John Carpenter proposait une version personnelle et terrienne du chef-d’œuvre de Ridley Scott, adaptée d’un roman de John W. Campbell et remake d’un film de 1951. Les coursives inquiétantes et humides du Nostromo ont laissé place aux étendues blanches de l’Antarctique où, là encore, une entité cauchemardesque va déployer toute sa force et toute son horreur au sein d’une communauté particulière (ici un groupe de scientifiques).
La créature profane n’est plus extérieure à la chair, étrangère en tous points à l’organisme (même si, dans Alien, sa phase d’évolution se déclenche à l’intérieur d’un hôte subalterne) mais, à l’inverse, fait partie du corps dans sa totalité, l’assimile, le digère, le modifie et le reproduit. Elle se sert de lui non plus comme une charogne laissée en pâture à sa descendance, mais comme un réceptacle nécessaire, vital à sa survie. Et si le démon ultra-sexué de Giger possède une indéniable aura érotique, la chose de Carpenter s’apparente davantage à un virus contagieux exprimant, de façon tristement prémonitoire, les grands fléaux épidémiques de notre époque.
L’admirable virtuosité d’Alien est de s’incarner principalement dans la suggestion et la peur de ce qui n’est pas visible, de ce qui n’est pas prévu, le monstre étant finalement très peu présent à l’écran. The thing, au contraire, ose tout, affiche, exhibe, magnifie à l’extrême des transformations hallucinantes et somptueuses jusque dans leur répugnance (os fracassés, peaux déchirées, sang liquéfié). C’est tout un bestiaire fantasmagorique qui prend vie sous les yeux du spectateur, transmutations dantesques, métamorphoses délirantes, créatures multiformes et terrifiantes échappées d’un tableau de Bosch, de Bacon (les effets spéciaux de Rob Bottin sont magnifiques), ou évoquant les affres de la nouvelle chair chez Cronenberg, alors déjà à l’œuvre depuis quelques années (Frissons, Scanners, Videodrome).
La monstration flamboyante de cette impitoyable invasion corporelle n’occulte en rien l’autre pièce maîtresse de l’intrigue, celle d’une paranoïa générale confrontant plusieurs hommes non seulement à une chose surpuissante, mais aussi à eux-mêmes, à leur "espèce", à ce mal intérieur qui détruit, ronge et bouleverse les toutes dernières certitudes de l’Homme. Soupçons et méfiance contaminent ainsi le scénario de la première séquence, oppressante, jusqu’à la dernière scène où deux hommes viennent de sauver le monde et s’apprêtent à mourir de froid.
Si le film a, parfois, quelques passages à vide et quelques baisses de rythme négligeables, Carpenter a tout de même cette capacité évidente, et un savoir-faire déjà éprouvé, pour disposer et garantir une tension magistrale (accentuée par la musique inquiétante, minimaliste d’Ennio Morricone) en nous faisant, constamment, douter de chaque personnage a priori infecté par la chose, et donc potentiellement dangereux. D’une beauté morbide faite de feu, de glace et de sang, The thing fascine, effraie, choque, œuvre culte entremêlant peur viscérale de l’autre et peur existentielle de soi dans une parfaite effervescence d’atrocités et de suspens.
John Carpenter sur SEUIL CRITIQUE(S) : Halloween - La nuit des masques.