Michael Bay l’avait promis, craché et juré : Transformers 3 ne tomberait pas dans les nombreux travers du deuxième épisode, à savoir trop d’humour beauf et trop de bourrinage qui ne sert à rien, sinon à rendre le truc complètement imbittable. Bay faisait son mea culpa et s’engageait à de l’élégance, à de la retenue, à du Bresson. Résultat des courses : outre une accroche bien ridicule (et pourquoi pas Les profondeurs d’Uranus ?), le contrat est à moitié rempli, Bay cédant encore, trop facilement, à ses vieux démons malgré une approche scénaristique plus tourmentée (des humains sont tués, Optimus Prime se transforme en vengeur implacable…), mais bien neuneu quand même. Moins réussi que Transformers (qui a toujours, pour lui, la fraîcheur et l’innocence d’une première fois), mais plus finaud que Transformers 2, ce troisième volet est en tout cas une sorte d’apothéose pyrotechnique qui fait prendre son pied comme jamais (et pour ça, Bay est un champion).
Concrètement, le film se scinde en deux gros morceaux (tout le film, d’ailleurs, fonctionne sur du binaire : des méchants et des gentils, des "Ohhh" et des "Ahhh", du sérieux et de la déconne, du grain et de l’ivraie). Une première partie d’une heure et demi qui expose le bordel et les situations à venir avec tous les défauts propres au cinéma de Bay (montage confus, scènes superflues, enjeux rendus incompréhensibles, plaisanteries grasses même si l’humour, cette fois, est un peu plus soigné que d’habitude), puis une deuxième partie d’une heure qui, là, relève du pur plaisir extrême (et rien d’autre).
Avec sa virtuosité technique coutumière (légendaire ?) et incomparable (Simon West, Dominic Sena, Stephen Sommers, pour citer quelques ersatz malheureux, font vraiment pâle figure à côté), ce cinglé de Bay, en pro du tournage d’action cataclysmique où il peut s’amuser avec ses jouets et ses décors grandeur nature qu’il aime, par dessus tout, à réduire en poussière, transforme Chicago en Gettysburg puissance mille. C’est du grand art, à peu de choses près, et il faut savoir reconnaître que lui seul est capable, et même si beaucoup le vilipendent à la hâte avec ce dédain propre à des chefaillons de chapelles, de filmer avec une maestria hallucinante des combats et des scènes d’action à couper le souffle (Spielberg ne le produit pas pour rien).
Parce que cette longue et pétaradante bataille à Chicago est un summum du summum de ce qui peut se faire de mieux en termes de beauté explosive et d’effets spéciaux totalement bluffants, laissant régulièrement le spectateur extasié et ébahi (la séquence des hommes volants), grisé jusqu’à la folie par tant de spectaculaire, par tant de grandeur dévastatrice, de bruits et de fureur atteignant une tension et une démesure incroyables lors de la scène du building sectionné en deux par l’impressionnant Shockwave. Bay n’a que rarement dissimulé son goût pour un simplisme et une emphase très dixième degré sur les bords, au contraire d’autres qui semblent s’en gargariser sans l’once de la moindre distance (voir l’ignoble World invasion), et a finalement toujours assumé sa façon de monter et de mettre en scène ses films avec la grâce virtuose d’un marteau-piqueur.
Il atteint ici, cependant, une sorte de "maturité" filmique (toutes proportions gardées) : il y a beaucoup plus de fluidité, plus de lisibilité dans les plans et dans les déchaînements d’action dont l’énergie, les élans, sont mieux canalisés, mieux abordés qu’auparavant. La poursuite sur l’autoroute, par exemple, est remarquable, faisant oublier en une seconde celle de Transformers ou de Bad boys 2 : Bumblebee se transforme, éjecte Sam, évite les obstacles, voltige en l'air puis se retransforme en Camaro en récupérant Sam qui, lui, continue de hurler comme un malade, tout ça dans un même mouvement et dans un même ralenti somptueux. La 3D a visiblement changé sa manière d’envisager la clarté, la longueur des séquences et les rythmes composés dans son environnement même si, comme d’habitude, le procédé n’apporte rien de transcendant en soi, excepté pour quelques scènes.
Bay ne réalisera sans doute jamais d’intenses drames psychologiques, d’œuvres intimes et émouvantes, et ce n’est pas ce qu’on lui demande, et c’est se tromper en le mal jugeant sur ses intentions et son savoir-faire. Toujours à la limite d’une constante autodérision (les acteurs l’ont bien compris, en particulier Malkovich, Turturro et Ken Jeong qui cabotinent et se marrent comme des fous), Bay n’a que faire de son scénario (on peut même dire, au moins pour la trilogie Transformers, qu’il s’en contrefout absolument) et celui écrit par Ehren Kruger (Arlington Road, Scream 3, Le cercle…) n’échappe pas au bulldozer Bay qui préfère l’éclate et la destruction massive (532 voitures envoyées à la casse) aux conneries lunaires du script, littéralement perdu dans une mécanique de la surenchère. Transformers 3, blockbuster hybride et grossier, ne révolutionnera pas grand-chose (ni le style de Bay), mais fonctionne à 300% dans ce pour quoi on l’attend et surpasse allègrement tout ce qu’il a été possible de voir dans un même genre d’entertainment.
Michael Bay sur SEUIL CRITIQUE(S) : Transformers, Transformers 2, No pain no gain, Transformers 4, Transformers 5, 6 underground.