Étrange film que celui d’Ari Folman, engourdi, ralenti, comme un cauchemar qui n’avance pas et où l’horreur finit par vous rattraper. Éblouissant visuellement (et musicalement), Valse avec Bachir captive souvent, mais dans sa globalité, l’émotion reste distante, insaisissable. Il y a quelque chose de trop "parfait", de trop démonstratif, qui fait que l’on admire plus que l’on se passionne, restant extérieur à cette exploration personnelle d’un homme voulant s’extirper du noir du déni. La quête de son Rosebud et son travail de mémoire s’apparentent à celui de Proust : devenir cinéaste (et non plus écrivain) pour arriver à fixer le temps perdu. Sa Recherche prend la forme d’un documentaire thérapeutique (et animé), de témoignages, de flashs, d’hallucinations, et principalement d’un rachat cathartique aux yeux de ces femmes hurlant la mort de leur famille.
Remontant le cours de sa jeunesse au sein de l’armée, Folman questionne ses anciens compagnons d’armes pour tenter d’y exorciser sa culpabilité et découvre, au fur et à mesure de son enquête, que tout converge vers les massacres de Sabra et Chatila, vers ces nuits du 16 et 17 septembre 1982 où lui-même y participa de façon anonyme et détournée, tirant des fusées éclairantes au-dessus des camps sans en comprendre la véritable logique. La démarche de Folman n’est pas de remettre en cause les différentes responsabilités du carnage (autant israélienne que palestinienne), mais d’y entrevoir avant tout la sienne, indirecte et aveugle.
La fin neutralise l’entrain modéré de l’œuvre ; Folman, pendant tout son film, évoque l’abomination d’une guerre par des visions allégoriques plutôt que par une représentation directe, puis ploie sous une facilité soudaine en révélant quelques images réelles du massacre. Geste quasi indécent après tant de retenue alors qu’un écran noir, strié par les seuls cris de femmes anéanties par le chagrin, aurait suffi à témoigner d’une incommensurable douleur. Folman est peut-être parvenu à s’extraire des décombres de ses souvenirs, il n’était cependant pas opportun, pour son retour à la lumière, de le sursignifier par un passage à de vraies images qui n’apportent rien, sinon une complaisance déplacée et contradictoire face à la réserve métaphorique du film.
Finalement plus fort que des images, voici des mots simples, tragiques et puissants ; ceux de Jean Genet évoquant la réalité de l’abjection dans son récit Quatre heures à Chatila : "La photographie ne saisit pas les mouches ni l'odeur blanche et épaisse de la mort. Elle ne dit pas non plus les sauts qu'il faut faire quand on va d'un cadavre à l'autre. Si l'on regarde attentivement un mort, il se passe un phénomène curieux : l'absence de vie dans ce corps équivaut à une absence totale du corps ou plutôt à son recul ininterrompu. Même si on s'en approche, croit-on, on ne le touchera jamais. Cela si on le contemple. Mais un geste fait en sa direction, qu'on se baisse près de lui, qu'on déplace un bras, un doigt, il est soudain très présent et presque amical. (…) Il m'a fallu aller à Chatila pour percevoir l'obscénité de l'amour et l'obscénité de la mort. Les corps, dans les deux cas, n'ont plus rien à cacher : postures, contorsions, gestes, signes, silences mêmes appartiennent à un monde et à l'autre...".