Film choral, générationnel, film témoin de destins mal ébauchés, entrecroisés ou happés ; polyphonie passionnante de personnages en quête de sens, de vérités et de bonheurs fragiles, Nos vies heureuses est tout cela à la fois, vibrant, profond, humain. Maillot aborde plusieurs sujets dits "de société" (immigration, homosexualité, militantisme…) sans chercher le consensus et surtout sans contraindre à une appréciation réductrice ou trop représentative. Ses protagonistes savent rester libres et attachants jusque dans leur faiblesse, leurs défauts et leurs contradictions. Les grands thèmes approchés, propices à faire du film une oeuvre à thèse sentencieuse, sont intelligemment mis en retrait, favorisant la prééminence de moments simples d’une vie telle qu’elle est, dérisoire et compliquée, joyeuse et inventive.
À l’opposé d’un discours prétentieux et d’une réalisation maniérée (le film serait un peu l’anti-Paris de Klapisch), Maillot préfère s’attacher durablement à ses héros "ordinaires" (le film prend son temps et justifie ses deux heures et demie), les regardant vivre franchement, spontanément, face à leur destin ou face à eux-mêmes, sans en faire un seul instant les archétypes conciliants d’une société bouillonnante et mouvementée à tous les niveaux (croyances, droits, mentalités). L’incroyable justesse d’interprétation des acteurs parachève l’acuité d’observation d’un microcosme apparemment particulier, mais libre d’affinités plus générales (un groupe de trentenaires à l’âge des choix difficiles). Elle permet également une identification immédiate, un rapprochement émotionnel fort avec ces femmes et ces hommes qui pourraient être nos amis, nos proches, nos voisins (ou nous-mêmes).
Leurs histoires sont un peu les nôtres, concrètes, flagrantes jusqu’au moindre détail, ancrées dans une réalité instantanée avec laquelle il faut faire malgré les claques, malgré les interdits, mais aussi grâce aux joies et à ces petits riens qui font parfois la magie d’une journée. Cette proximité presque naturelle s’incarne également par la volonté d’une mise en scène très mobile, complice, sensuelle, s’immisçant dans la vie de Lucas, Julie, Cécile et les autres comme par enchantement, comme par évidence. Nos vies heureuses est ce portrait sincère et touchant d’avenirs qui se concrétisent par la douleur, le nécessaire ou l’espoir, nous rappelant in fine à ceux que chacun traverse dans sa criante intimité.