Quatre saisons, quatre chansons de Françoise Hardy, et une jeune adolescente de dix-sept ans, Isabelle, qui semble se heurter à la vie, ne pas en faire ce qu’elle voudrait. Isabelle se prostitue ; pas pour de l’argent (le sujet du film n’a pas valeur de témoignage autour de la prostitution estudiantine), pas parce qu’on l’oblige, mais par choix, pour autre chose, quelque chose d’indicible. Que recherche-t-elle à vivre, à ressentir, dans cet acte définitif ? Est-ce un passage vers l’âge adulte ? Une crise adolescente ? Isabelle cherche-t-elle ce que cherchait Séverine dans Belle de jour, une échappatoire à une existence qui la frustre (Isabelle paraît sans cesse déçue par les hommes, par Félix, son amour de vacances qui la déflore rapidement sur une plage, ou par Alex, un ami de sa classe trop languissant, trop amoureux d’elle) ?
Est-ce un affront fait à sa mère (Géraldine Pailhas, touchante dans un rôle pas évident) qu’Isabelle soupçonne puis confronte à sa propre infidélité ? Est-ce vouloir braver les interdits, les tabous, la morale ? Ou même l’excitation d’une double vie ? La découverte entière de son corps (faisant écho à celle de son jeune frère, entre masturbation et poils sous les bras) ? Marine Vacth, belle évidemment, intrigante et allure presque androgyne (avec des faux airs à Jane Birkin et Charlotte Rampling quand elles étaient jeunes), capte toute l’attention de François Ozon qui la révèle telle une sorte de mystère insoluble, un mystère dont il serait possédé comme tous ces hommes croisés, charmés, impressionnés parfois.
Le sujet était en soi intéressant, mais Ozon le traite avec trop de balourdise dans sa psychologie et ses figures : Isabelle qui lit Les liaisons dangereuses, la mère qui culpabilise, le beau-père bonne poire, les étudiants qui parlent de Rimbaud comme des critiques littéraires et font des fêtes géantes dans des appartements géants avec vue sur l’Arc de Triomphe, le psy qui ramène, forcément, le désarroi d’Isabelle au manque du père, divorcé et absent… Le film fascine davantage quand Ozon filme simplement le visage mutique, mélancolique, d’Isabelle (et de Vacth donc) sans y solliciter d’éventuelles réponses, de clés, mais y guettant d’abord ses failles, ses envies ambiguës d’adolescente lâchée dans la cruauté du monde, intimement perturbée et en même temps sûre d’elle, déterminée dans ses envies radicales.
Mais comme souvent chez Ozon, le trouble reste en surface, il est stagnant ; c’est du trouble sans faire de vague, du trouble gentil, du trouble petit-bourgeois, quand on espérait un poison plus terrassant. Et puis le questionnement sur l’émoi féminin, l’identité féminine même, reste quasiment anecdotique (et qu’Ozon a maladroitement réduit à "Je pense que les femmes peuvent vraiment se reconnaître dans cette jeune fille parce que se prostituer est un fantasme chez beaucoup de femmes"), ne se risquant jamais trop loin dans l’aventure initiatique (Sleeping beauty y parvenait), ramené ici à l’unique envoûtement d’une gravure de mode (Vacth), d’une moue boudeuse et d’un corps longiligne ne constituant que l’idée inaboutie, informelle, du vrai motif de l’émancipation.
François Ozon sur SEUIL CRITIQUE(S) : Le temps qui reste, Dans la maison, Une nouvelle amie, L'amant double, Grâce à Dieu, Été 85, Peter von Kant.