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Loving

Mildred Jeter est noire. Richard Loving est blanc. Nous sommes en 1958 dans l’État de Virginie où une loi, le Racial Integrity Act, interdit les mariages entre personnes de race différente. Pourtant Mildred et Richard s’aiment, très simplement, alors ils partent se marier dans le District voisin de Columbia, mais sans pouvoir retourner vivre en Virginie, avec et près de leurs proches, puisque les mariages interraciaux sont punis par cette loi. C’est la Cour Suprême qui, quelques années plus tard, permettra d’abolir cette législation, alors en vigueur dans plusieurs États (et jusqu’en 2000 en Alabama, bien que devenue inapplicable), et aux Loving de vivre leur union sans plus de restrictions, comme "tout le monde".

Inspiré d’un documentaire réalisé par Nancy Buirski (The Loving story) relatant l’histoire déchirante et hors du commun des Loving, le film de Jeff Nichols laisse volontairement de côté dramatisation et longs développements judiciaires (tant mieux) pour se concentrer principalement sur l’humilité, sur l'amour des Loving face à l’absurdité et la violence d’une injonction qui les dépasse. Pour ça, Nichols fait dans l’ascèse, décide de la soustraction. Il n’y a dans Loving pas l’once d’une bouffissure, pas le moindre soupçon de complaisance (enfin presque). Rien qui dépasse. Cette fière allure, affichée comme preuve d’une œuvre garantie sans conservateur hollywoodien, ramène pourtant celle-ci à la simple reconstitution, très académique (ou au contraire d’une belle sobriété, selon la sensibilité de chacun), d’un fait "tiré d’une histoire vraie", et refoule empathie et émotions derrière le vernis de l’épure à tout prix.

Oui, tout est beau dans Loving. C’est du travail bien fait sur un sujet terrible, à forte résonance humaniste et actuelle dans une Amérique (et un monde) de moins en moins disposée à l’acceptation de l’autre, mais on sent Nichols, et avant même de vouloir faire un film, appliqué à plaire aux critiques qui s’en émerveilleront une fois de plus (l’idolâtrie autour de Nichols reste, pour ma part, un mystère total) et à ne jamais tenter l’esbroufe, à ne jamais appuyer les choses (musique discrète de David Wingo, économie des dialogues et du jeu de Ruth Negga et Joel Edgerton), sauf quand il s’agit de racoler autour de l’accident d’un enfant (avec suspens douteux et montage alterné grossier). Loving transpire ainsi de ce conventionnel las et massif qui refuse de se laisser emporter, ne serait-ce qu’un instant (mais entre le trop-plein et le pas assez, n’y a-t-il pas un juste milieu, un idéal ?), et fait de Nichols l’héritier laborieux, très premier de la classe, d’un classicisme buriné à la Eastwood.


Jeff Nichols sur SEUIL CRITIQUE(S) : Take shelter, Mud, Midnight special.

Loving
Tag(s) : #Films, #Cannes 2016

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