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La vie domestique

Elles s’appellent Juliette, Betty, Marianne ou Inès, et elles sont femmes au foyer. Ce sont des femmes d’intérieur, des femmes domestiquées, matées, l’ego par terre et la vie en rose encore plus. Mesdames rêvent… Du réveil aux ombres du soir, de la cuisine à la chambre, de cabines d’essayage au chemin de l’école, elles vont et viennent comme des spectres, asséchées. En adaptant le roman Arlington Park de Rachel Cusk, Isabelle Czajka évoque un sujet plus global que l’ultra moderne solitude des banlieues résidentielles anglaises. Il y a une peur concrète, intersidérale ; il y a une angoisse du vide, ce vide d’une vie sans plus rien, plus d’envies, de désirs, de grands espaces. Une vie grise abandonnée à l’abandon, que joli maison et jolis enfants ne peuvent satisfaire pleinement, à fond.

Puisque Czajka n’est manifestement pas une grande metteuse en scène (réalisation atone, rythme blafard suivant une linéarité sans surprise, parasité par un pseudo suspens à tendance petite fille disparue), la force du film résidera d'abord dans ses dialogues précis, piquants, dans les mots et les intonations aussi, ces mots anodins qui appuient là où ça fait mal, qui vexent l’air de rien, qui cassent en douce, et puis dans le panache magnifique de ses actrices encore plus magnifiques, parce qu’Emmanuelle Devos, Julie Ferrier et Natacha Régnier (Laurent Poitrenaux et Sava Lolov, pas en reste, sont également très bien) jouent les desperate housewives avec une classe languide, exquise même quand elles sirotent leur Volluto en discourant sur la misère dans le monde, là-bas chez les autres.

On se dit parfois que le trait semble un peu forcé, un peu tiré sur la corde (il l’est, sans doute), mais ça passe, ça passe parce que les personnages, malgré leur apathie galopante, malgré les clichés qu’ils trimballent et qu’on a bu jusqu’à la lie, existent bien, consistants et pleins. Ils sont justes, ils sont vrais, ils sont touchants, jamais dans la commodité d’une énième étude sociologique, ce genre bien français qui plombe le cinéma (français). Portrait en farce mineure de femmes à la dérive, et de maris ni beaux ni moches, simplement quelconques… Oh, ils ne sont pas bien méchants ceux-là, mais exsudent une banalité agaçante, un conformisme mou, tout en se permettant une suffisance (mentalité sexiste, arrogance professionnelle, dédain ordinaire…) qui les rends tristes et petits, minuscules, drôlement pathétiques. La vie domestique charrie constamment un humour crissant, jaune étouffé, et avec lui l’horreur sourde d’une routine existentielle qui vous englue, vous punaise. Et c’est assez terrible.

La vie domestique
Tag(s) : #Films

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