C’est en relisant Le nom de la rose que Tarik Saleh a eu l’idée de La conspiration du Caire, imaginant à son tour une histoire de meurtre et de complots à l’intérieur non plus d’une inquiétante abbaye réputée pour sa bibliothèque, mais d’un lieu saint de l’islam. Et pas n’importe lequel : la prestigieuse université al-Azhar du Caire, épicentre du pouvoir de l’islam sunnite. Le Grand Imam, qui en est le directeur, est l’équivalent du Pape dans la religion catholique. Tout musulman, même modéré, écoutera toujours ce qu’il a à lui dire. De même, tout dirigeant en Égypte doit prendre connaissance de ses recommandations quand il décide de promulguer de nouvelles lois. Autant dire que son influence est considérable, attisant les luttes d’influence entre les élites religieuses et politiques du pays.
C’est précisément au cœur de ces luttes secrètes, et parce qu’il faut choisir celui qui succèdera au Grand Imam qui vient de décéder, que se retrouve piégé Adam, simple fils de pêcheur venant d’intégrer al-Azhar grâce à l’obtention d’une bourse. Bien malgré lui, le voilà obligé d’espionner et de manigancer pour le compte de la redoutable Sûreté de l’État, qui craint et veut empêcher une victoire d’éléments à l’idéologie radicale. La grande force du film est de parvenir à associer, sans jamais tirer la corde du narratif, thriller politique et récit d’apprentissage, découverte du fonctionnement d’al-Azhar (sa hiérarchie, son cadre, ses rituels…) et constat d’un pays gangréné par des institutions recluses dans leurs propres intérêts (le portrait d’Abdel Fattah al-Sissi, de par son omniprésence dans les rues, dans les bureaux et les intérieurs, paraît rappeler, cristalliser à lui seul une Égypte malade de ses dérives étatiques).
Mais c’est bien le parcours, quasi initiatique, d’Adam (Tawfeek Barhom, impressionnant) à travers les rouages du pouvoir et les arcanes de la théologie qui captive le plus, faisant à la fois l’expérience de la duplicité et du sacré (et sachant vite, sous ses airs de Candide inquiet, la faire entièrement sienne) ; du désespérément humain et du spirituel. Son évolution, sa transformation même, de novice à émissaire habile, permet à Saleh de saisir la réalité de son pays, dont il a été banni en 2015 (il s’est, depuis, exilé en Suède), pleine de contradictions et de terreur, mais dont il imagine, espère peut-être (à travers, également, les personnages de l’inspecteur et du cheikh aveugle), en son sein la possibilité d’une sagesse retrouvée, du moins une prise de conscience, face aux turpitudes et vaines agitations de ce monde. D’une lueur dans l’obscurité, tel ce lever de soleil final qu’Adam, serein, contemplera à nouveau.