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Después de Lucia

De suite avec son premier film en 2009 (Daniel y Ana), Michel Franco avait été comparé à Michael Haneke pour ses images glacées, sa mise en scène rigoureuse et sa violence hors-champ. Ce singulier et dérangeant Después de Lucia devrait confirmer la tendance, Franco s’échinant à parfaire un style de plus en plus hiératique (il invoque Bresson comme modèle) et assimilable en définitive au réalisateur autrichien (comme d’ailleurs Ulrich Seidl ou Markus Schleinzer). Cadres désespérément fixes, absence de musique, plans-séquences, Después de Lucia déroule les "codes" flagrants du film sévère et solennel, droit dans ses bottes auteuristes, et proche parfois de la caricature. En soi, rien de particulièrement agaçant, sauf que le dispositif tourne vite à la démonstration un peu raide et à une absence de prises de risques, Franco préférant brandir l’argument de la neutralité (de la facilité ?) comme éventuel point de défense à la critique.

Le film commence d’une façon assez paresseuse, assez molle. Un père et sa fille sont filmés au quotidien dans une nouvelle ville, lui dans un restaurant comme chef, elle au lycée. Mais la mère n’est plus là, décédée récemment dans un accident de voiture. Le deuil reste à faire, assez difficile pour le père, apparemment plus simple pour la fille. Lui abandonne leur ancienne voiture, pleure en silence dans la cuisine, semble ailleurs, jamais en phase (même avec sa fille). Elle se fait de nouveaux amis, va à des fêtes, embrasse et fait l’amour avec un garçon. Puis tout dérape. Le père s’en prend à un automobiliste, Alejandra découvre qu’une vidéo de ses ébats avec José a été mise en ligne sur Internet. Le cauchemar peut commencer.

Plus qu’une histoire de violences ordinaires à l’école, Después de Lucia est un curieux récit sur la dislocation, sur le manque et sur la perte (de valeurs morales, de repères, de l’être aimé…) qui passerait par une sorte de roman d’initiation, pour finalement s’achever en un sombre requiem. Alejandra devient un personnage étrange, inquiétant presque dans sa sourde résignation (est-ce là sa façon de tolérer le deuil ?), et que l’on pourra rapprocher de Lucia dans Portier de nuit ou Basini dans Les désarrois de l’élève Törless (acceptant son statut de victime sans chercher à lutter ou à remettre en question ses volontés existentielles), effigie silencieuse et conciliante face aux humiliations (la figure du martyr n’est jamais loin), comme une sorte d’éponge, de réceptacle à la détresse et aux tourments des autres.

De là se déploie un engrenage infernal (des secrets qui entraînent des vérités, des silences qui provoquent des actes…), une escalade dans l’abjection rampante (la scène de la soirée ou celle du gâteau d’anniversaire, terrifiante dans sa banale cruauté), jusqu’à un dénouement rêche et brutal ramenant l’homme à sa condition d’animal rongé par ses pulsions (œil pour œil, dent pour dent). Constat rêche (Franco ne surligne rien, s’en tient à une ligne de réflexion débarrassée de tout superflu) d’une société faible et barbare à la fois, tiraillée entre ses doutes et ses abus de pouvoir, prête au pire dans sa généralité (le groupe d’étudiants) ou son individualité (le père).


Michel Franco sur SEUIL CRITIQUE(S) : Nouvel ordre, Memory.

Después de Lucia
Tag(s) : #Films, #Cannes 2012

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