"La jeunesse ? Un rêve. L’amour ? Ce rêve" : c’est Søren Kierkegaard qui, d’une certaine façon, ouvre les hostilités, en tout cas qui résume le fond du film (et de la bouteille) : la crise de la quarantaine/cinquantaine chez quatre mâles dépressifs qui n’ont pas vu le temps passer, professeurs qui s’ennuient au boulot, maris qui dépérissent dans leur mariage et célibataires qui périclitent. La solution ? Mettre en pratique la théorie du psychologue Finn Skårderud selon laquelle l’homme serait né avec un taux d’alcool dans le sang présentant un déficit de 0,5g/ml. Le programme ? Être pompette toute la journée pour voir comment l’absorption d’alcool libère du joug quotidien et rend la vie en rose, ragaillardit le corps et l’esprit sous les augustes auspices de Churchill et d’Hemingway.
Avec Tobias Lindholm, son coscénariste des grands jours (Submarino, La chasse), Thomas Vinterberg a concocté une sorte de farce existentielle qui parle moins du tétage compulsif du goulot que d’un mal-être carabiné (et d’une bonne biture pour s’en défaire). Drunk ne cherche pas à célébrer un alcoolisme de bon aloi (ni vraiment à le condamner), il célèbre la vie (la scène finale, magnifique), la vie comme elle est, pas facile tous les jours, merdique d’autres jours, joyeuse quand on peut, simple quand on veut. Certes, le film frise parfois la facilité (par exemple dans sa vision réductrice de la cellule familiale ou du drame conjugal), mais n’empêche jamais cette célébration douce-amère, voire tragi-comique (le film n’occulte rien de l’inévitable retour de bâton), de questionner et d’émouvoir.
Film de copains qui déchantent et qui s’enivrent, un peu comme si Yves Robert avait croisé Bukowski sur le zinc, Drunk doit aussi beaucoup à son quatuor d’acteurs, parfaits en soûlards sympathiques et pathétiques : Thomas Bo Larsen, Lars Ranthe, Magnus Millang et surtout Mads Mikkelsen dont le personnage, qui sert d’axe principal au récit, comprendra, grâce (ou à cause) de ses boires et déboires, que quelque chose doit changer, qu’il lui faut, pinté ou pas, reconquérir ce désir même de vivre. Et c’est là peut-être le sens de cette dernière image qui, figée, vient saisir Martin dans un saut, comme s’élançant (ou chutant ?) vers l’inconnu que sont ces lendemains. Ce rêve, aurait dit Søren.
Thomas Vinterberg sur SEUIL CRITIQUE(S) : Submarino.