C’est de l’obscurité, celle du local à charbon qu’il vient livrer, que Bill assiste, sans rien dire, à la scène où une jeune fille est amenée de force par ses parents dans un pensionnat religieux pour jeunes adolescentes (les tristement célèbres couvents de la Madeleine, symptômes des dérives des institutions religieuses au nom de Dieu et de la morale). C’est de l’obscurité aussi, celle de son salon, qu’il observe parfois, la nuit quand il n’arrive pas à dormir, les gens dans la rue et qui passent devant sa fenêtre. C’est de l’obscurité enfin que semblent remonter ses souvenirs d’enfance, souvenirs de sa mère, d’une mère seule et ostracisée car ancienne pensionnaire, elle aussi, d’un couvent de la Madeleine. Couvents où l’on envoyait ces filles pour des motifs divers, et parfois dérisoires, en pensant les ramener dans "le droit chemin" : parce qu’orphelines, parce que souffrant de problèmes psychologiques, parce que rejetées par leur famille, parce qu’enceintes après une relation hors mariage ou un viol, parce que jugées frivoles ou simplement trop jolies, donc tentatrices…
Peter Mullan, en 2002 dans The magdalene sisters, avait déjà abordé le sujet de ces "couvents de la honte" sur lesquels l’église catholique, alors toute-puissante en Irlande, avait préféré fermer les yeux (as usual, a-t-on envie de dire…), et où régnaient terreur, sévices et esclavage sous couvert d’actes de foi. Si son film permettait une pleine (et terrible) immersion en suivant le destin de plusieurs jeunes filles enfermées dans l’un de ces couvents, Tu ne mentiras point pose un regard (celui de Bill au milieu des années 80) à la fois extérieur et intime sur ce pan sombre que l’Irlande cherche à oublier. Comme à absoudre de son Histoire. C’est donc Bill, lui-même père aimant de cinq filles, qui en sera le témoin silencieux, confronté soudain à cette réalité (et aux traumatismes passés qui vont avec) qu’il avait réussi à occulter au fil des années. Et face à laquelle il devra faire des choix quand surviendra un évènement dramatique.
Tim Mielants et son scénariste Enda Walsh ont adapté le roman de Claire Keegan avec un dépouillement extrême, comme cherchant à sonder l’âme de Bill (Cillian Murphy, monolithique, un peu trop dans le taiseux sursignifiant) au détriment de tout autre chose (tous les personnages, si ce n’est celui de Bill, ne sont absolument pas étoffés). Et cette retenue a quelque chose de figé, de démonstratif à la longue, et le film de donner l’impression de se complaire dans une atmosphère grise et crasseuse (certes, le film évolue dans un milieu touché par la misère sociale, mais on frôle souvent les clichés) qui paraît tout plomber : les décors, les dialogues, les interprétations, les intentions et, surtout, les émotions. La fin, abrupte, est davantage frustrante qu’effective dans son côté volontairement lapidaire. Comme si le film nous abandonnait là, sans raison, et d’une façon trop évidente. Et sans vouloir s’intéresser à la décision de Bill qui, pourtant, disait enfin les signes, le besoin même d’une révolte personnelle.