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Festival "Silence, on court !"

Oubliez donc ce vieux machin qu’est le Festival de Cannes. Cette année, the place to be en mai, c’est au Festival "Silence, on court !". Pour sa 3e édition (du 11 au 14 mai, entrée libre), ce jeune festival a pour ambition de promouvoir le jeune cinéma contemporain, favoriser les rencontres avec le public et permettre l'émergence de nouveaux artistes. Il s'agit de donner à voir des courts-métrages ambitieux et de qualité, portés par des auteurs de moins de 30 ans, et de proposer un cinéma ouvert, qui questionne et pose un regard critique sur le monde (plus d'informations sur silenceoncourt.fr).

Les organisateurs, n’ayant vraiment peur de rien, m’ont proposé cette année de faire partie du jury qui décernera trois prix (grand prix du jury, second prix et troisième prix) au terme de trois jours de projection et de féroce compétition. Alléché par la promesse de soirées endiablées, de champagne et de petits fours à volonté, j’ai donc accepté honorablement de me gaver participer à l’aventure et de confronter ainsi mon sens du jugement (?), de l’intelligence (??) et de la droiture (???) à l’exercice périlleux de la critique en vraie avec de vrais gens aussi.

La sélection du festival, qui varie les plaisirs en proposant documentaires, fictions, films expérimentaux ou d’animation, n’a pas dérogé à la règle pour cette 3e édition. Si plusieurs films sont, pour ma part, des espèces de pensums auteuristes pas vraiment enthousiasmants (The geometry of separation, Je n’ai pas vu la guerre à Beyrouth), quand d’autres sont complètement oubliables (Singing brush, L’école de la rue et Un week-end pour faire un film, curieusement défendu et honoré malgré mes menaces de représailles comme seuls contre-arguments possibles), la plupart ont su offrir, même dans leur maladresse première, ambition et surprises (Corps à corps, La marche du funambule, Inspiração...).

Après 2h30 d’intenses délibérations, le jury a donc voté pour Take me to the water (en deuxième place dans mon palmarès) comme grand prix de cette année, Un week-end pour faire un film et Braco en deuxième et troisième prix. Tout cela s’est fait dans une ambiance décontractée et sympathique, où chacun a pu exprimer ses choix, ses rejets et ses sensibilités (et de choix, il fallut bien en faire au moment des votes et du verdict).

Take me to the water (déjà primé cette année au festival Vidéoformes, et refusé dans quelques autres en raison de ses dialogues particulièrement crus) est une espèce de mix (toutes proportions gardées) entre Bret Easton Ellis, Gaspar Noé, un peu de Chris Cunningham et de Requiem for a dream aussi (tout pour me plaire, donc), en tout cas état d’une société brutale, consumériste, annihilant sans pitié l’amour et l’individu. Il a plus ou moins divisé au sein du jury, et si le fond a été jugé différemment par chacun, la forme, assez bluffante, a emballé (presque) tout le monde. Jim Vieille a déjà réalisé plusieurs courts-métrages dans le même esprit que Take me to the water (Fucking with my head, Hypergrace), et il est fort probable que ce jeune réalisateur, à l’univers très marqué, soit vite repéré par quelques producteurs ambitieux.

Braco, exercice de style autour de la figure du film noir, des frères Coen et de Tarantino, ne parvient pas à dépasser son dispositif, ses intentions, et ce en dépit d’une qualité visuelle incontestable. Le film se contente trop simplement de citer et de s’inspirer, sans chercher à aucun moment une originalité qui lui serait complètement propre (mais le potentiel et le talent sont là). C’est le film qui, étrangement, a été le plus applaudi lors de la soirée de clôture, sans doute parce qu’une "tarantinade" arrive toujours à faire son petit effet (du coup, je pense que nous nous serions faits lyncher si nous ne l’avions pas primé).

Mon gros coup de cœur de la sélection a été, sans conteste, Les draps de Pierre de Simon Serna (nous n’étions que deux à défendre le film dans le jury), courte rêverie photographique et fantomatique sur le souvenir d’un amour perdu, poésie intime inspirée de La jetée qui fait de ses vers clamés une musique étrange s’alliant à la beauté immobile des images (d’un superbe noir et blanc granuleux). Intrigué, j’ai ainsi découvert d’autres courts-métrages de ce jeune metteur en scène (La fugue du pianola, La nuit les lampadaires rêvent d’oiseaux bleus), abscons mais très intéressants dans leur recherche d’une narration fragmentée, du pouvoir évocateur de l’image et du son.

Le troisième à figurer dans mon palmarès était Café allongé, film d’animation rageur et très drôle s’inspirant fortement de Bill Plympton (et/ou lui rendant hommage). Le film a d’ailleurs beaucoup fait rire lors de sa projection, mais plusieurs membres du jury n’y ont pas trouvé assez d’intérêt pour lui attribuer un prix. Gilles corporation m’a plu également, sorte de potacherie paysanne sur l’élevage et la commercialisation chinoise du "parisien". Entre faux documentaire à la Groland et fiction d’entreprise, le film assume un joli non-sens et une caricature totale.

Lors de la soirée de clôture au Forum des Images, François Dupeyron, invité d’honneur, a présenté lui aussi son premier court-métrage réalisé en 1982, La dragonne (ou comment les rapports de la drague homme/femme se retrouvent inversés). Ne l’ayant visiblement jamais revu depuis, il a paru touché quand il est venu sur scène pour en parler, évoquant surtout le temps passé et le temps qui passe. C’est donc une expérience plaisante qui s’achève là (celle de pouvoir se dire que l’on contribue, modestement, à l’émergence de futurs auteurs), et pour cela je tiens encore à remercier les organisateurs du festival pour leur confiance et leur gentillesse.

Tag(s) : #Vie du blog

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