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Présumé coupable

Outreau, ton univers impitoyable. Vincent Garenq s’est emparé du récit d’Alain Marécaux, l’un des treize acquittés d’Outreau, pour revenir sur cette sordide affaire qui défraya la chronique à partir de 2001. Mais Présumé coupable "survole", suggère davantage l’instruction bâclée, le manque de moyens (la fameuse polémique des experts psychologues et leur tarif de "femmes de ménage"), les preuves et témoignages fragiles, les dysfonctionnements des acteurs sociaux, la pression médiatique et politique ; il s’éloigne de ces faits, connus et terribles pour la plupart, les mets de côté un instant pour s’intéresser d’abord à l’humain et à un homme en particulier, broyé comme d’autres par une machine judiciaire aveugle, emballée soudain, engrenage infernal que même les tentatives de suicide et les grèves de la faim n’ont su arrêter.

L’analyse de la procédure pénale française et d’une société "arriérée", par le prisme du gâchis d’Outreau, sera pour quelqu’un d’autre (Florence Aubenas l’a très bien fait dans son livre La méprise) ; Vincent Garenq scrute, observe avant tout, de l’intérieur, le cauchemar sans fin d’un homme aux prises avec un simulacre de justice. Les fouilles, les interrogatoires absurdes, les calomnies, les humiliations, les cellules exiguës, Marécaux connaîtra chaque étape (douloureuse) d’une implacable descente aux Enfers jusqu’à perdre sa famille, son travail et sa mère, rongée par le chagrin. Difficile alors de rester de marbre, de ne pas se projeter dans son calvaire (qu’aurais-je fait ? Qu’aurais-je dit ? Comment aurais-je réagi ?…), et même si certaines situations peuvent paraître appuyées (principalement les confrontations avec Burgaud), on comprend que tout s’est vraiment passé dans cette espèce de climat surréaliste, délétère, avec morgue et froide obstination, noyé dans le mensonge et la pire des bêtises.

Sec, nerveux, sans concession, Présumé coupable, s’il ne propose rien de complètement vertigineux cinématographiquement parlant (le sujet se suffisant à lui-même), s’il se veut dépouillé de tout (pas de musique, photographie crue), vierge de tout attachement et de toutes références, affiche un genre de forme "documentaire" quelque peu impersonnelle, déjà vue, pulvérisée de toute façon par la dureté de l’histoire et la prestation bouleversante de Philippe Torreton. Après Christian Bale (The machinist) ou Michael Fassbender (Hunger), Torreton donne lui aussi de sa personne (27 kg en moins) dans une performance saisissante. Il va au-delà de son rôle, au-delà de son jeu, entier, fiévreux et déchirant, passant par plusieurs phases comportementales : incompréhension, colère, peur, désespoir, résignation enfin et envie de mourir. Mourir pour ne plus subir, mourir en ayant à l’esprit, avec encore quelques élans de lucidité, que tout cela ne se passe ni en Chine ni en Iran, mais bien en France et de nos jours, en plein régime démocratique réduit à une débâcle kafkaïenne, révoltante surtout.

Présumé coupable
Tag(s) : #Films

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