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Qui veut la peau de Roger Rabbit

De l’art animé 4/7 - Animation et prises de vues réelles [Critique rédigée par Stebbins]
 

Spielberg et Zemeckis vous présentent leur show lapin !
 

La décennie 80 fut, incontestablement, la décennie du rêve américain, des rêves américains, du cinéma populaire à guichets fermés, du cinéma capable de fabriquer du sentiment comme on fabriquerait du pop-corn, du cinéma comme empire de l'entertainment. Elle fut, aussi, les années Spielberg, cinéaste issu du nouvel Hollywood, formidable conteur de fables intemporelles qui avait, presque à lui tout seul, inventé le blockbuster avec Jaws en 1975. Après moult succès (Duel, Close Encounters of the Third Kind, Raiders of the Lost Ark, E.T. the Extra-Terrestrial…) l'enfant prodige du grand spectacle a pu ensuite s'atteler à la production de films réalisés par d'autres.

Ce fut le cas de Who framed Roger Rabbit, film culte et chef-d'œuvre de Robert Zemeckis (cinéaste que l'on prend trop souvent pour l'ami Steven, au point de l'oublier au profit de ce dernier), moment de cinéma fracassant conjuguant images réelles et images d'animation (bien après Mary Poppins et Peter et Elliott le dragon), bloc d'innovations et de prouesses techniques mises au service d'une intrigue passionnante et jubilatoire. Who framed Roger Rabbit, sujet de cet article, est bien entendu un emblème manifeste de la décade 80.

Difficile de savoir par où commencer quand on veut parler de Who framed Roger Rabbit, tant le film de Robert Zemeckis possède plusieurs niveaux de lectures, à la fois divertissement transpirant l'enthousiasme, reconstitution du Hollywood des années 40, peinture intelligente d'un système judiciaire corrompu, ou encore parabole politique prenant comme prétexte l'imagerie cartoonesque de Tex Avery et le trait rond de Walt Disney. Who framed Roger Rabbit est de ces longs-métrages que l'on épluche inlassablement, chaque visionnage révèle une nouvelle facette, une nouvelle emprise, un nouveau sourire. Who framed Roger Rabbit, c'est tout simplement 24 images de plaisir par seconde.

On ne reviendra pas sur la prouesse technique dont a fait preuve Robert Zemeckis (post-synchro millimétrée, montage virtuose, invisibilité de la caméra au profit du spectacle) pour mieux se concentrer sur le reste, à commencer par le traitement des personnages, denses et passionnants, à la fois archétypaux et nuancés. Déjà les Toons, héros animés qui possèdent une âme, un esprit, voire même une sexualité leur étant propre (la plantureuse Jessica Rabbit, le vicieux Baby Hermann), mais aussi les humains, notamment Eddy Valiant, le véritable héros du film (Bob Hoskins, dans son meilleur rôle).

Privé déchu, ravagé par la mort de son frère tué par un méchant Toon, Valiant noie sa morosité dans l'alcool. Dépréciant l'amusement et la fantaisie, il accepte un petit scoop minable compromettant la magnifique Jessica Rabbit, femme de la star Roger Rabbit, soupçonnée par un producteur véreux de fricoter avec le créateur des Toons, Marvin Acmé. S'en suivra une affaire criminelle dont le premier suspect sera notre fameux lapin, accusé d'avoir tué son propre père, le facétieux Acmé.

Cette première incursion policière en cache une autre, et non des moindres, qui remonte à beaucoup plus loin dans le temps : qui se cache derrière la mort de Teddy Valiant, frère du protagoniste, assassiné par un lâché de piano ? Un Toon, of course, dont Eddy se rappelle le regard diabolique et le rire perçant, le rendant du même coup "raciste" à toute forme de délire cartoonesque. À sa manière, Who framed Roger Rabbit parle de la peur de l'autre, de sa différence, mais aussi de la différence qui est en chacun de nous.

Qui veut la peau de Roger Rabbit

Amusant de constater qu'une majeure partie des personnages dits "humains" est en constante évolution au fil de l'intrigue : Valiant changera d'opinion sur la race Toon, Dolores, sa femme, finira par s'adoucir au gré des péripéties, se dépêtrant de sa rigidité initiale, R. K. Maroon, producteur sans scrupule, se montrera étonnamment humain avant de passer de vie à trépas, et, bien sûr, l'incontournable Juge Doom (personnage grâce auquel le film doit sa folle popularité) qui sera le sujet d'une transformation significative dans le dernier quart d'heure puisqu'il apparaîtra sous les traits du mystérieux Toon assassin.

Le seul à rester fidèle à ses convictions sentimentales et spirituelles, c'est bien entendu Marvin Acmé, le créateur des Toons, qui sera le premier à disparaître. Seul son testament, léguant aux Toons une ville portant leur nom, changera d'apparence, passera de main en main au fil de l'affaire criminelle. Pierre angulaire de l'épopée, document sacré puis sacralisé par les personnages (parfois pour des raisons contraires), le testament d'Acmé symbolise à lui tout seul la portée constructive du film de Zemeckis : changer, évoluer, c'est aussi rester soi-même.
 

Le Juge Doom et la solution finale
 

Attardons-nous un instant sur l'innommable Juge Doom, joué par le délirant Christopher Llyod. Après de multiples visionnages, difficile de ne pas comparer ce personnage à l'une des figures les plus marquantes du XXe siècle : Adolf Hitler. Il y a d’abord le lien entre le génocide des Toons, auquel s'adonne le Juge, et les crimes contre l'Humanité perpétrés par les nazis. Ici, la trempette, solution à base d'acétone et de térébenthine, remplace les chambres à gaz ; ici, les gants de la Gestapo sont portés par Doom et les fouines appliquent bêtement les ordres de leur supérieur.

Dans la dernière demi-heure du film, on peut également remarquer un lien entre l'ambition hitlérienne (conquérir le monde, construire un réseau unique d’autoroutes) et l'objectif ultime du Juge Doom : mettre la main sur ToonTown et construire ce même réseau autoroutier, absurdité progressiste impensable pour tout être humain normalement constitué : "Ce stupide projet d'autoroute ne pouvait être imaginé que par un Toon", grogne Valiant en découvrant le vrai visage du Juge Doom. Il va de soi que le contexte narratif du film (l'action se passe en 1947, deux ans après la fin de la Seconde Guerre mondiale) n'est pas à prendre à la légère. À leur manière, Spielberg et Zemeckis rendent gloire à l'Amérique salvatrice, à cette horde de héros qui perpétuent (et aujourd'hui encore) le rêve sur grand écran, au risque parfois de taire le Mal ou de l'édulcorer.

Film jubilatoire qui ne peut désespérément pas trouver une analyse exhaustive digne de ce nom, Who framed Roger Rabbit est à voir et à revoir à gogo, divertissement noble et palpitant qui, pour ma part, reste l'une des réussites majeures du cinéma des années 80. That's all folks!

Qui veut la peau de Roger Rabbit
Tag(s) : #Cycles

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