Le film commence à peine que David Michôd impose déjà un style entreprenant. Dense, sec et à l’esthétique magnifiée. La tragédie s’annonce ainsi sous de brillants auspices, ceux d’une espèce d’opéra noir parvenant à conjuguer hyperréalisme et lyrisme désenchanté, rugosité et élégance. La superbe musique d’Antony Partos semble suivre, intégrer cette voie maîtresse, envisageant des mouvements aériens, sombres, proches d’un aria ou d’un adagio crépusculaires. Atmosphère idéale, hypnotique et presque sensorielle, pour observer le déclin, l’implosion puissante d’une fratrie d’assassins et de braqueurs à Melbourne. C’est au sein de cette horde barbare et hurlante que Josh, neveu éloigné depuis un temps, revient mettre les pieds après la mort de sa mère.
Entre apathie irréelle (Josh paraît, constamment, être en état second), liens du sang et tempête sous un crâne, l’adolescent va devoir s’émanciper, trahir peut-être, en tout cas entreprendre des choix pour tenter de trouver sa place parmi les fracas de l’existence qui ne lui épargne pas grand-chose. Davantage suspens psychologique que pur thriller, parvenant à s’affranchir naturellement des conventions et des grands noms du genre (James Gray en particulier avec Little Odessa et The yards), Animal kingdom se confronte à la noirceur d’une vision abrupte et fascinante, celle de la famille perçue comme une deuxième mort (symbolique), comme une oppression inaltérable, un poison subtil, distillé, ici, par une matriarche vorace (Jacki Weaver, impressionnante) à la fois doucereuse et monstrueuse, aimante et impitoyable, seule à la tête d’une meute de prédateurs, quatre fils criminels qu’elle couve telle une louve distribuant des baisers sur la gueule.
De ce nœud de relations tendres et cruelles, de cette jungle pulsionnelle où la bête rôde et tue quand elle veut (oncle Pope, interprété par l’inquiétant Ben Mendelsohn), Josh va découvrir la peur et la loyauté, se confronter au courage et à la vengeance. C’est notre Virgile à travers l’enfer, celui d’une société où ne réside plus vraiment d’espoir (la fin, même plus ou moins attendue, est sans concession), où les hommes, loin d’être des héros, participent, au contraire, à établir un monde amoral, lâche et sauvage, tout en s’évertuant à afficher une relative normalité (femme et enfant, envie de boursicotage, sortie au restaurant…), établie mais précaire.
Dommage en revanche que le rythme ne soit pas totalement convaincant, circulant, trop simplement, de scènes de dialogues peu inspirées à des moments de grâce et d’éblouissements (ralentis somptueux, silences, tensions et éclairs de violence). Le manque de réel impact par rapport à l’action, l’intrigue s’écaillant, se traînant un peu trop (la préparation du procès, dans les vingt dernières minutes), la lenteur mal orchestrée, font que l’on reste souvent extérieur au film alors que l’on voudrait complètement s’en imprégner, complètement s’y fondre, et ce malgré ses multiples qualités (photo et mise en scène maîtrisées, ambiance ouatée, acteurs magnifiques, trame sonore extrêmement travaillée avec grondements, cris d’oiseaux et bruits du quotidien rappelant celle d’Elephant). Le film ne passe pas loin du chef-d’œuvre s’il avait su se resserrer, mieux gérer l’harmonie, l’unité de son montage et de ses différentes approches scénaristiques, mais Michôd est, assurément, un réalisateur talentueux promis à un bel avenir.
David Michôd sur SEUIL CRITIQUE(S) : The rover.