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King Kong

Monstres et cætera 6/7 - 2005 [Critique rédigée par Fredastair]


Rêve de gosse, rêve de cinéma formé par un Hobbit qui n’a jamais vraiment grandi, le King Kong années 2000 transpire à chaque seconde l’amour du grand spectacle et le respect envers son spectateur. Peter Jackson, de retour de la Terre du Milieu, était devenu roi du cinoche et du box-office et pouvait donc tout se permettre : remaker à nouveau, par exemple, l'un des plus grands emblèmes du septième art, non plus dans son garage avec trois maquettes en carton et une caméra Super 8, mais dans ses studios de New Zaeland avec une petite combinaison de 200 millions de dollars pour se (pour nous) faire plaisir.

Caprice de démiurge, évidemment, mais qu'est-ce que King Kong version 2005 apporte à son modèle de 1933 ? La réponse claque comme une évidence, et justifie à elle seule toute l'entreprise : rendre possible (tangible) la représentation de son monstre phare avec l'apport de nouvelles technologies. La plus grande réussite du film, c'est Kong. Majestueux, impressionnant, chaperon terrifiant et prédateur émouvant, la bête pixelisée par Jackson sonne l'apothéose d'une technique, celle de la motion capture, déjà expérimentée sur le Gollum du Seigneur des anneaux. Le challenge était encore plus risqué ici, pourrait-on dire, et ce pour deux raisons : d'abord parce que Kong, mythifié par le film original puis par une horde de fans centenaires, devait passer l'épreuve du "Je t'attends au tournant" ; ensuite parce que son "identification" avec le spectateur ne pouvait être aussi immédiate qu'avec un Gollum de la Moria (être vil, diminué, mais après tout "résidu" d'humain) ou, quelques années plus tard, un Na’vi de Pandora (machin bleu à longue queue, certes, mais doué de parole, de raison et d'émotion).

Or, Peter Jackson refuse un anthropomorphisme trop fantaisiste et lui préfère, intelligemment, un dosage entre liberté de la fiction et rigueur scientifique. Son gorille à lui est un vrai gorille, et reproduit d'authentiques comportements et expressions simiesques ; une exigence qui doit beaucoup, on s'en doute, au travail stupéfiant d'Andy Serkis puisque non content de s'être tué le dos, l'acteur a passé plusieurs semaines à observer de vrais singes dans leur milieu. On attend de voir jusqu'où le poussera son abnégation pour le rôle du capitaine Haddock dans le prochain Tintin : arriver sur le plateau bourré au scotch en sabordant ses mille capteurs corporels ? Toujours est-il que sur King Kong, le résultat impressionne par son réalisme, relayé par un numérique dont la précision et la beauté avaient atteint un premier stade d'achèvement.

Peter Jackson n'est pas un formaliste, c'est plutôt un artisan surdoué, sa foi dans les effets spéciaux virtuels est sans failles, ce qui a donné, chez lui, du meilleur (Le seigneur des anneaux, et en attendant Tintin ?) comme du pire (les excentricités gerbantes de Lovely bones). Le réalisateur semble avoir tellement liquidé son budget post-prod dans l'animation du Kong que d'autres segments de son film, en comparaison, souffrent d'étranges carences (certaines séquences de poursuite et autres plans d'ensemble sentent un peu trop le fond vert). Qu'importe puisque l'essentiel est ailleurs : chaque poil du monstre est si tactile que la technique mise en œuvre pour le créer parvient à se faire oublier. Le singe est là et il vit devant nous, un point c'est tout.

Enveloppe virtuelle devenue personnage de cinéma, King Kong peut donc tomber amoureux de sa Ann Darrow sans rougir ni susciter les ricanements des sceptiques. La relation entre la Belle et la Bête, étoffée par rapport à l'original et débarrassée de sa dimension érotique, est la seconde grande réussite du film (et une conséquence directe de la première). Ce grand sentimental de Jackson se laisse aller à son tempérament fleur bleue et sa touchante naïveté donne lieu à des séquences impossibles sur le papier, mais magnifiques à l'écran : numéro de cirque remixé en numéro de drague ou ballet semi-funèbre sur un étang glacé, les instants de grâce se multiplient et étonnent par leur audace dans un ensemble aussi précis, aussi cadenassé, aussi sage que ce blockbuster de Noël.

Le cinéaste scénariste y va à fond sans peur du ridicule et parsème son histoire de petits moments simples qui lui donnent une véritable vibration. Une respiration humaniste et lyrique dans laquelle ne se devine aucun calcul, plutôt une confiance absolue dans le pouvoir du cinéma, aussi opérant dans le déploiement d'une vaste batterie technologique que dans un jeu de reflets (la rencontre Denham/Darrow) ou un regard hébété (la belle scène dans le dernier tiers du film où Naomi Watts, reconvertie en danseuse anonyme, se fige sur scène au son de Bye, bye, blackbird).

King Kong

Le dénouement, haletant, déchirant au possible, grave alors en nous son empreinte puissante. Ici, le monstre Kong n'est pas tant humanisé, défini comme miroir possible de l'être humain (avec des sentiments, avec un cœur, etc.) que réaffirmé comme personnage à part entière : il a droit à ce statut, à cette liberté, mais les hommes (ni monstrueux ni stupides, tout juste un peu cupides, et surtout dépassés par les événements) la lui refusent, dans une volonté dominatrice et un aveuglement trop rationnel. L'histoire d'amour entre Kong et Ann n'est simplement pas possible, pas dans ce monde-là. De ce rejet des séductions du conte naît une impasse toute tragique ; et les larmes fusent, aussi abondantes que les coups de mitraillette des biplans.

Et le film dans tout ça ? Film-monstre bien sûr, dans ses excès comme dans ses défauts, qui a besoin d'être réévalué avec le recul de quelques années (l'émotion fut trop grande à sa sortie pour le faire correctement). Peter Jackson a voulu rendre hommage au grand cinéma hollywoodien, faire un spectacle total. Il double la durée du métrage original, développe des segments, case des scènes absentes du film de 1933 (ou bien seulement envisagées, voire tournées par Cooper et Shoedsack, mais non retenues dans le montage final). Construite en trois actes bien distincts, sa tragédie suivra son fil sans perdre son spectateur ; mais si King Kong s'en sort bien quand il s'agit d'approfondir ses trois personnages principaux ou de résumer la Grande Dépression en une mosaïque de quelques minutes, sa boulimie coupable le conduit inévitablement à des raccourcis grossiers, notamment dans le traitement de ses intrigues secondaires (la relation père-fils entre Hayes et Jimmy, traitée à l'enclume, ou bien la peuplade d'aborigènes timbrés, diabolisée sans mesure et expédiée en trois grimaces).

Le film souffre d'indéniables longueurs dans son premier tiers, celui du voyage en bateau, où l'histoire tourne en rond en même temps que le Venture (mais restituant bien le sentiment d'attente anxieuse qui saisit l'équipage fantôme). Respect du spectateur on le rappelle, respect de la matière originale ajoutera-t-on : le scénario, retransposé dans les années 30 et mimétique au premier opus jusqu'au moindre dialogue (Jackson lui fait d'ailleurs quelques clins d'œil amusés, notamment dans les séquences de tournage sur le bateau), laissera peu de place aux bouleversements pour les initiés de la bête poilue (et ça, c'est un peu dommage, ma petite dame).

Peter Jackson, bien veinard avec un tel matériau entre les mains, est trop occupé à en polir amoureusement les contours (la reconstitution de New York et de Skull Island est d'une minutie hallucinante), à soigner chaque seconde pour lui conférer l'importance cinématographique qu'elle mérite. L'étirement déraisonnable du métrage sur trois heures et ses boursouflures stylistiques récurrentes restent toutefois largement compensés par l'accumulation inouïe de moments de pur cinoche, littéralement vertigineux, qu'il propose : combat de tyrannosaures suspendus au-dessus d'un canyon, chute finale du roi Kong du haut de l'Empire State Building, en passant par LA grande scène du film, un affrontement extraordinaire entre une poignée de pantins humains et une troupe d'insectes géants au fond d'un gouffre visqueux et sans retour.

La surprise la plus bigrement surprenante de King Kong en a surpris plus d'un : c'est Jack Black. Dans le rôle de Carl Denham, génie maudit et mégalo, référence directe à Orson Welles (dont il partage la bouille grassouillette), le comique est plus que convaincant, conférant à son interprétation une épaisseur dramatique qu'on ne lui connaissait guère, lui imprimant un dosage idéal entre grandeur, pathétique et ce brin de bouffonnerie qui lui est propre (ici merveilleusement exploité sur son versant tragique). Performance fascinante et personnage passionnant, dans lequel le réalisateur a mis toutes les métaphores possibles du septième art comme passion dévorante, de l'artiste comme monstre d'ambitions meurtrières, du succès comme symptômes de toutes les décadences (le final à Broadway). La caméra de Denham le suit partout, comme un membre greffé et (encore) monstrueux : l'image la plus forte du film demeure celle où Black, après une chute qui a ruiné la pellicule de son "œuvre", déchaîne une rage sauvage et désespérée contre les bestioles qui l'attaquent.

Choix de casting inattendu et gagnant que ce Jack Black, comme celui de Naomi Watts et d'Adrian Brody, deux graines du cinéma d'auteur à succès dont les rôles ont été réécrits à leur mesure (et pour ainsi dire intellectualisés : elle a un peu de plomb dans la cervelle, il est scénariste) sans perdre de leur aura héroïque. Les deux acteurs semblent d'ailleurs avoir pris goût au blockbuster depuis l'expérience, mais pas forcément pour le meilleur (L’enquête vs Predators). C'est aussi grâce à eux que King Kong demeure la réussite que l'on sait malgré ses multiples défauts de "grand film malade" : celle d'un spectacle qui n'oublie jamais l'émotion, d'une (r)évolution technologique s'appuyant sur les meilleures assises classiques, d'un film d'action larger than life rythmé par les battements d'un cœur, et celle d'un grand flot qui nous emporte.

King Kong
Tag(s) : #Cycles

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