Alors Quentin Dupieux, comment ça va ? La forme depuis l’année dernière ? Pour rappel, Dupieux avait tourné le dos aux interviews, fui les journalistes, sabordé la promo et fait son misanthrope, estimant que le film parlait de lui-même et qu’il n’avait pas à l’expliciter (c’était au moment du Deuxième acte, mais c’était déjà un peu comme ça avant), et Dupieux aujourd’hui revient un peu plus amène (quelques entretiens ici et là, mais très courts) avec son 15e film, L’accident de piano, sans doute son plus désagréable et son plus brutal. Ça n’a pas l’air d’aller mieux, en fait, tant Dupieux jette un (nouveau) regard, cruel et désabusé, sur notre époque et ses travers : solitude, appât du gain, désincarnation de l’art, cynisme à tous les étages, débilité et vacuité généralisées.
Dupieux cinquantenaire ronchon, mais Dupieux qui étrille, Dupieux qui découpe dans le lard sans chercher la subtilité ni l’amabilité. À prendre ou à laisser donc. Il se pourrait même que se dessine, en creux, un autoportrait de lui à travers le personnage de Magalie, sorte de vidéaste / youtubeuse devenue insolemment riche (et insolemment infecte) en se filmant, dans un style proche de Jackass, en train de s’infliger blessures sur blessures (car insensible à la douleur, ça aide) dans des mises en scène invraisemblables pour contenter son public. Et qui tourne le dos aux interviews, et qui fuit les journalistes, et qui fait sa misanthrope. Et qui refuse d’expliciter le sens de ce qu’elle (de ce qu’il) crée.
Et qui considère que les artistes font "des activités qui ne demandent aucun effort" : il y a forcément un peu, beaucoup (carrément ?) du Dupieux dans cette tirade balancée mine de rien par Magalie, ou alors est-elle contre ces spectateurs qui crachent sur les artistes parce qu’ils n’attendent plus rien de l’art ("C’est qui Steven Spielberg ?", demandera Magalie. "Un mec qui faisait des films avant", lui répondra son assistante maquillage), gavés de vidéos de chats et de gens qui se cassent la gueule ? Quand une journaliste, par le chantage, oblige Magalie à faire une interview (le tournage de sa dernière vidéo a tourné au drame), le jeu de massacre peut commencer, révélant les rancœurs et les vanités de chacun(e). Et Dupieux, évidemment, n’épargnera personne (serait-ce le Dupieux où il y a le plus de morts ? Ou dans Rubber plutôt ?), ses personnages n’étant ici que star exécrable, assistant lèche-bottes, fans décérébrés et journaliste carriériste. Ruben Östlund n’aurait pas fait mieux.
Très bavard, enfonçant pas mal de portes ouvertes sur nos sociétés de spectacles et nos rapports au divertissement, le film ne décolle jamais vraiment. Comme si Dupieux avait bien l’intention, quelque part entre la critique vacharde et l’analyse méta, mais pas le bon feeling (ni le bon tempo d’ailleurs, le film souffrant d’une rythmique bancale). Ou plus la motivation. Plus l’envie d’en rire. Plus le cœur à l’ouvrage pour la rendre pertinente et méchamment drôle (parce que l’on se marre finalement peu devant L’accident de piano, et malgré la prestation hilarante d’Adèle Exarchopoulos et une bande-annonce rigolote). Après Yannick, Daaaaaalí ! et Le deuxième acte, Dupieux a décidé de clore son cycle sur l’art et les manières de l’appréhender et de le faire (jadis, aujourd’hui et à l’avenir, par les spectateurs et par les artistes eux-mêmes), mais sa conclusion a, malheureusement, des airs d’eau de boudin.
Quentin Dupieux sur SEUIL CRITIQUE(S) : Wrong, Wrong cops, Réalité, Au poste !, Le daim, Mandibules, Incroyable mais vrai, Fumer fait tousser, Yannick, Daaaaaalí !, Le deuxième acte.
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