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La forme de l'eau

Les quinze premières minutes augurent du pire, en mode Amélie Poulain, la revanche : ambiance désuète, images ripolinées aux teintes verdâtres, musique d’Alexandre Desplat avec accordéon de circonstance, et Sally Hawkins en clone/grande sœur de la serveuse des Deux moulins. La suite va plus ou moins s’arranger, mais laisser au final un large sentiment de gâchis et de frustration parce que le scénario promettait beaucoup et supposait autant : l’histoire d’amour impossible entre une jeune employée de ménage muette et une créature aquatique, retenue prisonnière dans un laboratoire gouvernemental. Une sorte de croisement improbable entre Le rêve de la femme du pêcheur d’Hokusai et de Max mon amour d’Oshima, option mélasse hollywoodienne à Oscars (et récompensé d’un inexplicable Lion d’or à la Mostra de Venise).

L’un des (nombreux) problèmes du film réside dans le fait d’avoir réduit la rencontre et le développement de la relation entre Elisa et la créature à seulement dix minutes et des poussières. À des œufs et de vieux disques, à quelques regards énamourés. C’était pourtant le cœur du film, c’était toute sa raison d’être et sa belle étrangeté : regarder naître la relation, s’épanouir les sentiments entre ces deux-là. À la place, del Toro préfère s’appesantir sur un ennuyeux brouillamini de méchant très méchant (Michaël Shannon, épuisant de sadisme larvé) et d’espions russes très russes, ramenant le vrai sujet de son film (et toute sa poésie, toute sa profondeur, tous ses mystères) à deux ou trois scènes certes magnifiques, mais perdues dans la masse insipide d’un script sans originalité dont on prévoit, à l’avance, stéréotypes et rebondissements.

La relative audace du film (évoquer une relation amoureuse, et même sexuelle, entre une belle et une bête) est sans cesse rabattue par cette volonté de privilégier d’abord action et suspens, comme si del Toro, conscient de flirter avec l’ambigu et l’acceptable (bien que son film n’ait rien, visuellement, de particulièrement osé), décidait de saborder lui-même son idylle inter-genres. Cette ode à la différence et à l’acceptation de l’autre (qu’importe que l’on soit muet, gay, noir ou monstre fabuleux) ne suscite plus dès lors qu’un vague intérêt à force de compromis (l’évasion du laboratoire, aussi facile qu’elle est ridicule) et de ratés (même la fin parvient à ne pas émouvoir). Et puis c’est connu : tant va la romance à l’eau qu’à la fin elle se casse.


Guillermo del Toro sur SEUIL CRITIQUE(S) : Pacific rim.

La forme de l'eau
Tag(s) : #Films

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