Il s’appelait Tommaso Buscetta. Il a été le premier pentito (un repenti de la Cosa nostra) qui aida la justice italienne dans sa lutte contre la Mafia, en particulier contre l’empire du sanguinaire Salvatore Riina. Là où la Cosa nostra n’assassinait "que" ses rivaux ou ceux qui fautaient ("On ne touche pas aux femmes et aux enfants", affirmait le soi-disant code d’honneur de la Mafia), le clan Riina lui n’épargne plus personne, éliminant tout sur son passage : femmes, enfants, descendants sur plusieurs générations, policiers, procureurs, juges (dont Giovanni Falcone lors d’un attentat retentissant) et même des civils en perpétrant un acte terroriste dans le but de faire diversion par rapport aux révélations de Buscetta (le 23 décembre 1984, le train Naples-Milan est plastiqué : l’explosion fait 17 victimes et 267 blessés).
Dans la longue et interminable histoire de la Mafia italienne (dont les séries Gomorra et Suburra se font aujourd’hui l’écho contemporain), la trahison de Buscetta et le "maxi-procès" qui suivra (sur presque deux ans) feront date, et de nombreux mafiosi y seront jugés puis condamnés. Mais c’est surtout le parcours de Buscetta qui intéresse Marco Bellocchio, de sa fuite au Brésil (alors que la bande à Riina commençait à sévir) à son arrestation (suivie de tortures et d’une tentative de suicide), puis de son extradition vers l’Italie à sa décision de collaborer avec la justice (jusqu’à sa nouvelle vie aux États-Unis) en y dévoilant, entre autres, le véritable fonctionnement de la Mafia (une structure hiérarchique unifiée dirigée par une commission, la Cupola).
Une large partie du film (la meilleure) est ainsi consacrée au maxi-procès. Les tribunaux se transforment alors en théâtre de la bouffonnerie où les mafieux (sur)jouent les victimes lors de confrontations verbales oscillant entre la vindicte, la complainte et le ridicule. S’il n’y avait pas tant de morts derrière tout ce cirque, on pourrait en rire, mais le triste spectacle de ces meurtriers prêts à tout (feindre la démence, se coudre la bouche, exhiber son sexe…) pour gagner du temps et tenter de s’en sortir fait surtout froid dans le dos (voir par exemple le sourire en coin affiché par un Riina imperturbable durant son procès).
Entre saga familiale dans la pure tradition du film de Mafia (Le parrain évidemment), film de procès et velléités documentaires, Le traître s’offre comme une œuvre dense et didactique. Trop d’ailleurs, le film dépassant rarement son statut de film-dossier égrenant sans fin noms, nombre de morts, informations et faits au détriment d’émotions (quand il ne se permet pas quelques fautes de goût, de ces inserts lourdingues d’images d’animaux à la reconstitution de l’attentat de Falcone, ratée et un rien sensationnelle). Et si émotions il y a, c’est dans le visage massif de Pierfrancesco Favino, formidable dans la peau d’un Buscetta à la fois fragile et déterminé, qu’il faut aller les chercher.