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Malcolm & Marie

À un instant, assez tôt dans le film, dix minutes peut-être, et alors qu’on se rend compte déjà que le film flirte avec le truc poseur à partir du moment où Sam Levinson décide de filmer John David Washington, dans la peau dudit Malcolm, en train de se déhancher puis d’aller et venir en devisant sur son film et sur les critiques tout ça en plan-séquence évidemment, et donc à cet instant, assez tôt, ladite Marie balance à Malcolm "Nothing productive is going to be said tonight". "On dira rien de constructif ce soir". Tu parles, quel euphémisme. Et quelle clairvoyance aussi de pouvoir, à cet instant, assez tôt, résumer ce que sera le film : une jolie babiole sans aucun intérêt. Une mascarade arty.

Lui, Malcolm, est un jeune réalisateur dont le nouveau film a enflammé le public et les critiques, à l’avant-première d’où ils reviennent. Elle, Marie, est une ancienne toxico, une jeune mannequin qui tente de percer, une actrice qui a du mal. Ils s’aiment, visiblement. Mais pas ce soir. Ce soir c’est prise de tête, ce soir ça va rugir, dire des méchancetés, confronter des vérités. La chamaillerie va se dérouler en trois temps, en tout cas se baser sur trois observations, trois «reproches» formulés par Marie : Malcolm a oublié de la citer dans son discours de remerciements ; Malcolm refuse de la considérer comme source d’inspiration de son film, éventuellement sa muse ; Malcolm ne lui a pas proposé le premier rôle de son film qui semblait lui revenir logiquement.

À partir de là, à partir de ça, le couple va mettre à nu le fonctionnement de chacun non seulement  par rapport à l’autre, mais aussi dans son rapport à la célébrité. Programme passionnant, du moins qu’on espérait passionnant, décortiquant la brouille passionnelle d’un homme et d’une femme à force de vanité, de mésentente et d’incompréhensions sur leur statut face à la notoriété. Programme dont le maître-mot sera incommunicabilité, entérinée par une volonté de scission dans les dialogues tout au long du film qui ne fonctionnera que rarement sur des échanges, une vraie interaction même si c’est en s’engueulant, même rongée de silences. Et qui ne sera en réalité qu’une suite de monologues, de logorrhées égotistes où, problème, Zendaya et Washington font leur show chacun à leur tour.

Un coup c’est moi qui argumente, un coup c’est toi qui affirmes, un coup c’est moi qui morfle, un coup c’est toi qui prends cher, et ainsi de suite, chacun dans son temps imparti, pause cigarette comprise. De fait, on n’a rarement l’impression de voir un couple se déchirer, se rabibocher un peu, se déchirer encore plus, de constater entre eux un gouffre qui se serait ouvert pour de bon, mais plutôt deux acteurs prisonniers d’un scénario qui n’appelle qu’à la performance individuelle, au bigger than acting, voire au cabotinage (en particulier chez Washington). C’est évident par exemple dans la diatribe de cinq minutes de Malcolm contre une critique (élogieuse) devant laquelle on se contente simplement de regarder Washington en train de jouer (non, de s’époumoner), de faire SA grande scène, plutôt que d’incarner son personnage.

Pendant ce temps, Zendaya se morfond sur le canapé, curieuse image miroir de nous, esquissant quelques sourires et attendant poliment son tour pour balancer son texte. Ces deux-là ont beau être glamour à mort, ils ne sont justement que ça. Du glamour avec du vide autour. Levinson ne leur offre qu’un écrin chic tendance Antonioni (La nuit), à la fois dénué d’une belle partition en duo majeur qui revisiterait délitement conjugal et emprise créatrice, et encombré d’une écriture méta (débat critique, représentation raciale, male gaze, art vs Hollywood…) lourde et un rien éculée. C’est quoi la phrase déjà ? Ah oui, "On dira rien de constructif ce soir". Dont acte.


Sam Levinson sur SEUIL CRITIQUE(S) : Another happy day, Assassination nation.

Malcolm & Marie
Tag(s) : #Films

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