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Hitcher

C’est l’histoire d’un jeune homme, Jim, aux prises avec un tueur énigmatique, increvable, presque tout-puissant, sur les routes perdues et interminables de l’Amérique, quelque part entre Chicago et San Diego. C’est de ça dont il s’agit, à première vue. Une histoire que le scénariste Eric Red dit avoir imaginée en écoutant Riders of the storm des Doors alors qu’il convoyait une voiture de New York à Austin, la chanson étant elle-même inspirée du tueur Billy Cook qui assassina six personnes (dont les cinq membres de la famille Mosser) lors d’une virée meurtrière d’une vingtaine de jours entre le Missouri et la Californie au début des années 50.

Tout se recoupe donc, on s’y retrouve. Mais, à deuxième vue, John Ryder, le serial killer surgit de nulle part d’Hitcher, paraît plus complexe et plus symbolique que ces seules exégèses. Et se pourrait-il qu’il soit la matérialisation des démons intérieurs de Jim ? Une extension de sa part sombre ? Se pourrait-il que Jim s’en débarrasse comme s’il se débarrassait d’une partie de lui-même, comme un violent passage à l’âge adulte ? Une catharsis en somme ? Un rite initiatique ? N’y aurait-il pas aussi, peut-être, un peu d’homoérotisme là-dedans ("Y’a quelque chose de bizarre entre vous", admettra le shérif à propos de Jim et de Ryder), une connexion qui s’opère en un jeu sadique/masochiste, passif/agressif, Ryder malmenant Jim avec une sorte de jouissance gourmande, parfois extatique (il faut le voir le couver du regard ou lécher le crachat que lui a envoyé Jim à la figure) ?

Ou se pourrait-il que, tout simplement, Ryder soit le Diable en personne venu ici-bas corrompre, tenter un pauvre mortel à s’abandonner à sa vraie nature, à ses pulsions meurtrières ? Tout est possible, et tout est envisageable, et Robert Harmon sait intelligemment jouer de ces multiples interprétations… en en privilégiant aucune. D’autant que Rutger Hauer, alors en état de grâce après avoir enchaîné Blade runner, Ladyhawke et La chair et le sang (Ryder, avouons-le, sera son dernier grand rôle, et Hitcher son dernier grand film), incarne à merveille toute l’ambiguïté morale et tout le charisme trouble de son personnage face auquel C. Thomas Howell ne démérite pas dans un rôle évidemment moins (beaucoup moins) fascinant.

Mais auquel il apporte une belle innocence juvénile mise à mal (perdue ?) par les épreuves sanglantes imposées par Ryder (avec, en point d’orgue, la célèbre scène du camion qui verra la pauvre Jennifer Jason Leigh finir en pièces détachées). Magnifié par la photographie de John Seale et les synthés planants de Mark Isham, habité par une peur et un malaise poisseux, une sorte d’angoisse métaphysique (qui est vraiment Ryder, ou plutôt qu’est-il ?), Hitcher gagnera, sur le tard, ses galons de film culte (il aura même droit à son remake, catastrophique, vingt ans plus tard) en s’affranchissant définitivement de l’héritage du Duel de Spielberg auquel on le compara (et le limita) trop facilement. Et servira à son tour, enfin, de référence assumée dans le cinéma de genre d’aujourd’hui (Breakdown, Une virée en enfer, Wolf creek…).

Hitcher
Tag(s) : #Films

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