Deuxième essai pour le fils Cronenberg, plus concluant et abouti stylistiquement que le premier, Antiviral, et plus concluant même que les derniers films du père qui, lui, n’a rien fait de bon depuis A history of violence (qui remonte déjà à 2005). Possessor, à l’instar d’Antiviral, s’inscrit clairement dans la continuité esthétique et thématique du père, même si Brandon Cronenberg s’en défend, expliquant, dans une interview au New York Times, "réaliser les films qui m’intéressent, le plus proches de mes aspirations créatives". Antiviral rappelait ainsi les premières œuvres expérimentales de son père, quand Possessor évoque davantage Scanners et Videodrome, et même eXistenZ dont il va jusqu’à "emprunter" Jennifer Jason Leigh.
Conglomérats obscurs et organisations secrètes, nouvelles technologies et giclées de sang, expériences qui dérapent et réalité qui s’altère, difficile de ne pas faire le parallèle, quand bien même on s’y refuserait. Dans cette histoire d’appropriation (et son dérèglement), via un procédé neurologique, des corps et des esprits permettant de les pousser à commettre des assassinats au profit de sociétés ou de clients richissimes, Cronenberg pratique autant la parabole politique (contrôle des masses, monopolisation du libre arbitre…) que la métaphore existentielle (déshumanisation de nos personnalités, ascendance du virtuel…) à grand renforts d’extases cauchemardesques (accentuées par la partition angoissante de Jim Williams) et de narration multipliant les distorsions, quitte parfois à patiner ou à négliger ses véritables enjeux.
Furieusement gore ("En horreur, je préfère en général une approche explicite de la violence, c’est plus honnête", a confessé Cronenberg), Possessor se montre très généreux pour qui aime les vrais bouillons d’hémoglobine et le latex (ici pas d’effets digitaux insipides) et rappellera, là encore sans que l’on puisse l’occulter, les débuts du père quand ce dernier n’hésitait pas, lui aussi, à faire dans la boucherie live. Distillée dans une atmosphère à la fois clinique, élégante et viscérale, Cronenberg offre une vision du monde particulièrement sombre où tout ce qui touche à l’intime et au sentiment se retrouve asservi et détraqué, puis finalement annihilé. Car si quelques souvenirs subsistent de ce qui fut alors une enfance, ceux-là même paraissent vidés de leur essence pour ne laisser qu’un abîme où empathie et individualité ne sont plus que des points, des repères insignifiants.
Brandon Cronenberg sur SEUIL CRITIQUE(S) : Antiviral, Infinity pool.