Ils s’appellent Chloé, Grégoire, Nawelle et Sabine, et ils sont en vrac. Victimes de viols incestueux, de homejacking, de braquage ou de vol à l’arraché, ils luttent comme ils peuvent, souvent difficilement, contre les traumatismes et blessures engendrés par ces différentes agressions. Pour eux, des vies qui se sont arrêtées, des lendemains en miettes, et le goût à plus rien. Et pour eux, il y a désormais la "justice restaurative". Depuis 2014, celle-ci permet de faire dialoguer, avec l’aide de médiateurs spécialement formés, une victime avec l’auteur d’une infraction. D’échanger sur les ressentis de chacun, sur ses émotions et ses attentes. Avec, pour objectifs, la reconstruction de la victime et la responsabilisation de l’auteur de l’infraction (et sa réintégration, après la case prison, dans la société).
Après Pupille et l’adoption sous X, Jeanne Herry se penche sur une nouvelle institution sociale en plongeant le spectateur au cœur du processus de justice restaurative. C’est quoi, comment ça se prépare, qu’est-ce qui s’y passe, quels en sont les éventuels bénéfices. Pour ça elle filme, par le biais de deux récits entrecroisés, ce qui en constitue le principal moteur, la quintessence même : la parole. Je verrai toujours vos visages s’articulera donc quasi exclusivement autour des mots, des dialogues qui s’instaurent entre victimes, médiateurs et agresseurs, et le langage acquiert ici une sorte de toute-puissance (pareil pour les visages, filmés au plus près et par lesquels se révèlent l’infiniment intime), dans son développement comme dans ses silences.
Il est ce qui permet (ou permettrait) une réparation. Il est telle une catharsis parce que c’est par lui qu’on libère, qu’on confronte, qu’on confie (les agresseurs, par exemple, racontent les attaques et les effractions, leur vie d’avant et la réalité désormais qui est la leur). Par lui qu’on exprime sa colère et dit ses souffrances. Et à la clé, peut-être, ce sentiment d’un poids qui s’est estompé. Les nombreuses scènes de face-à-face, où ce langage ne cesse de se déployer collectivement, et qui constituent à elles seules les deux tiers du film, sont d’une belle justesse narrative et évitent (de peu parfois, c’est vrai) sensiblerie et manichéisme (voir la rencontre finale entre Chloé et son demi-frère incestueux, d’une sécheresse qui prend aux tripes).
Mais derrière tout ça on sent comme une volonté d’hyper didactisme, volonté qui contraint l’ensemble, passe à la trappe les prises de risque, un minimum de singularité, et qui ferait ressembler le film à un long clip gouvernemental de sensibilisation à la chose. Et peut-être aurait-il fallu, à la place, faire un documentaire. Préférer le sans artifices, le factuel pour le factuel plutôt que de, justement, diluer celui-ci dans quelques éléments de fictions pas toujours à propos (mille fois dommage pour cet espèce de happy end tout mignon absolument dispensable), et dans quelques tentatives laborieuses de vouloir ramener à tout prix du quotidien, de "l’ordinaire", des respirations entre les scènes d’échanges à huis clos. Malgré tout, Je verrai toujours vos visages impose une force émotionnelle indéniable, et brille par ses qualités d’écriture et d’interprétation. Et le film enfin, à sa petite échelle, faisant fi du cynisme et de la vindicte partout, sait croire encore possible l’importance et la beauté du lien humain.