Ils ont tous les deux seize ans et, comme tous les ados à travers le monde, ont des rêves en grand, des ambitions plein la tête. Seydou et Moussa vivent à Dakar et rêvent à l’Europe (mais conscients aussi des mirages qui les y attendent, d’une vérité en trompe-l’œil). D’échapper à un quotidien pauvre, sans horizon, sans avenir, mais entouré de l’amour des leurs. Alors les voilà qui partent avec, en poche, leurs économies et cette envie d’ailleurs, cette envie de réussir qui les anime, les pousse, les emporte… Les voilà prêts pour un long et éprouvant périple… Moi capitaine sera ce périple, nourrit des récits de ces jeunes femmes et ces jeunes hommes qui, fuyant les guerres, les répressions et la misère, ont éprouvé l’impitoyable traversée de l’Afrique (et de la Méditerranée) les menant aux lisières de l’Europe.
Parmi ces récits, il y a celui de ce jeune de quinze ans qui, seul et sans expérience, a conduit un bateau jusqu’aux côtes italiennes, sauvant ainsi la vie de tous ses passagers. Et celui aussi de Mamadou Kouassi, qu’une rencontre avec Matteo Garrone va amener à devenir consultant sur le scénario du film. Les deux se rejoignent, racontent les mêmes souffrances, disent les espoirs et la cruauté des hommes, capables du pire pour de l’argent. Ils servent à l’histoire de Moi capitaine qui verra Seydou et Moussa arpenter sans relâche, et jusqu’à l’épuisement (jusqu’à la mort pour d’autres), les dunes du désert du Sahara, survivre aux terribles prisons libyennes et, enfin, fendre la Méditerranée avec, chevillées au corps, la faim, la soif et cette hantise de la noyade.
Sur le fil, à la limite parfois de verser dans quelques élans sensationnalistes (quoique les deux scènes oniriques étaient clairement dispensables), Garrone maintient un fragile équilibre entre odyssée cauchemardesque aux airs de conte initiatique et démonstration consensuelle à l’esthétique appuyée, voire policée, qui offre au film une drôle de tonalité (témoignage d’utilité publique et/ou œuvre pavée de bonnes intentions ?). En tout cas le film ne laisse pas indifférent et redonne du concret, un visage (à défaut d’une vraie réflexion, de vraies interrogations politiques) à ces drames humains devenus affreusement ordinaires. Une info parmi tant d’autres. De simples chiffres égrenés sans cesse au gré des naufrages que Garrone, c’est déjà ça, tend à ramener à leur réalité.
Matteo Garrone sur SEUIL CRITIQUE(S) : Gomorra, Reality, Tale of tales, Dogman, Pinocchio.