Tout commence dans les mines de Welo en Éthiopie, en 2010, où des gisements d’opales sont découverts. Les opales dont on dit que l’on peut voir l’univers à l’intérieur. Mais à défaut d’univers, brièvement traversé par une caméra véloce, le film commence ailleurs en revenant à l’humain, au désespérément humain. Il commence à l’intérieur du côlon d’Howard Ratner, littéralement dans son "trou du cul" le temps d’une coloscopie (pour finir, deux heures plus tard, dans un autre "trou de balle"). Étrange rhétorique visuelle (c’est quoi l’idée, au-delà d’un plan d’assez mauvais goût et d’évoquer cette soi-disant corrélation entre juifs et problèmes de côlon ?) pour nous présenter, et pour quitter à la fin, Howard, électron baratineur et diamantaire new-yorkais cumulant les emmerdes comme un personnage des frères Coen.
Soit des dettes de jeu, un boulot stressant, une maîtresse à entretenir, une famille à nourrir et un divorce à prévoir. Le film sera ainsi, à l’image d’Howard sans cesse à l’image : un film en ébullition et qui ne s’arrête jamais, sous tension et imparfait (une bonne vingtaine de minutes en moins, une intro foireuse et The Weeknd à la poubelle, et c’était gagné). Ça tchatche, ça vocifère, ça deale, ça magouille, ça s’invective, ça menace. Et pour une histoire d’opale donc, quasi magique, quasi divine on dirait, objet de toutes les convoitises et de toutes les combines et de toutes les embrouilles, Howard va voir sa vie partir en vrille, en mode banqueroute.
Toujours dans le sillage 70’s de John Cassavetes et de Martin Scorsese, les frères Safdie font d’Howard une sorte d’héritier flamboyant de Cosmo Vitelli (Meurtre d’un bookmaker chinois), de Charlie Cappa et de Johnny Boy (Mean streets). Des hommes rattrapés par le destin et qui cherchent le pardon, un salut, sans en trouver. Naviguant entre sa joaillerie (lieu stratégique du film où tout va se nouer et se dénouer, et surtout dans son sas de sécurité lors d’un final intense), sa maison et sa garçonnière, traversant les nuits new-yorkaises comme une bête à l’affût, Howard est aux abois, le monde entier contre lui (en tout cas son beau-frère et ses sbires, à qui il doit de l’argent).
La fièvre (du jeu) au corps, la poisse collée aux basques et des rageux aux trousses, il croit encore possible de tutoyer la win, d’inverser l’ordre des choses et d’y (re)trouver sa place. Adam Sandler fait des merveilles dans ce rôle de loser magnifique, ce genre de rôle qui vous transfigure une carrière. Habitué aux comédies US insignifiantes, c’est Paul Thomas Anderson qui, en premier, l’avait sublimé dans son très beau (et mal aimé) Punch-drunk love (et plus tard Noah Baumbach dans The Meyerowitz stories). Les frères Safdie, qui ne voulaient que lui, ont fait pareil. Ils l’ont mis devant leur caméra et ils l’ont sublimé à leur tour.
Ils l’ont canonisé, Sandler, dans un rôle finalement pas très éloigné de celui de Barry Egan dans Punch-drunk love (un type qui perd le contrôle, bouffé par les événements). Et puis derrière (la caméra), ils ont mis le grand Darius Khondji dont la photographie incandescente, déjà à l’œuvre dans Too old to die young, la série stylée à mort de Nicolas Winding Refn, et dans un clip de Jay-Z réalisé, tiens, par les Safdie, révèle autant la matière brute, mais étincelante de mille feux, de l’opale-talisman que les strates d’une existence sous néons et sous adrénaline, et qui s’effrite pour laisser, soudain, le vide, l’intangible, l’infiniment grand. Et la violence du réel.
Les frères Safdie sur SEUIL CRITIQUE(S) : Good time.