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The addiction

Milieu des années 90. Ferrara est devenu à la mode. Il est dans sa période faste, dans ses meilleures années créatrices malgré la drogue, l’alcool et la déglingue. Il vient de réaliser presque coup sur coup, et alors qu’on se remet à peine de Bad lieutenant et d’Harvey Keitel pleurnichant et titubant nu devant la caméra, deux films avec, d’un côté, une commande de la Warner dont on se demande encore aujourd’hui comment un réalisateur comme lui a pu hériter d’un projet comme ça (Body snatchers, deuxième remake du classique de Don Siegel), de l’autre une rencontre logique entre monstres, pas loin de la belle et la bête, travaillés les deux par la religion, la déchéance et la rédemption, avec une Louise Ciccone en icône malmenée et transfigurée (Snake eyes).

Puis le voilà qui revient, deux ans plus tard, avec un film fauché de vampires philosophes et en manque, écrit par son éternel complice Nicholas St. John et tourné en vingt jours dans le New York de son cœur, celui qu’il a dans la peau et qu’il teint, pour l’occasion, de noir, de blanc (bonjour Murnau, bonjour Tourneur) et de sang visqueux comme du pétrole. Ce sera The addiction, culte pour beaucoup, grotesque pour pas mal, qui revisite le mythe du vampire en mêlant, parfois de façon grossière, parlotes philosophiques avec name dropping à la clé, génocides de l’Histoire et grandes théories autour du Mal.

Il y a même Christopher Walken qui passe vite fait dire bonjour, incarnant pour quelques (fabuleuses) minutes un vampire esthète et millénaire, amateur du Festin nu de Burroughs et citant volontiers Baudelaire. Aussi atypique, mais pas aussi réussi, que Morse ou Only lovers left alive, sans doute à cause de son côté foutraque qui fait se côtoyer des scènes superbes à d’autres plus bancales, ou même complètement ratées, The addiction utilise le vampirisme comme prétexte, et comme métaphore parfaite, pour sonder les affres de la dépendance et de l’anéantissement que viendra "résumer", et condenser aussi, l’incroyable bacchanale finale.

Kathleen, la jeune étudiante en philo future succube avide de sang, n’est pas loin de ressembler aux éternels anti-héros qui hantent le cinéma de Ferrara, de Thana dans L’ange de la vengeance (dont la structure narrative rappelle beaucoup celle de The addiction) au lieutenant de Bad lieutenant en passant par Frank White dans King of New York. Toutes et tous sont en lutte, contre eux-mêmes d’abord, contre leur condition ensuite, qu’elle tienne de la tueuse vengeresse, du malfrat ou de la damnée. Pour Kathleen, il est surtout question, au-delà de son devenir suceuse de sang qui n’oubliera rien des codes du genre (morsures langoureuses, soleil ennemi et miroirs trompeurs), de comprendre la teneur et la limite, franchie lors d’une overdose d’hémoglobine, de ses actes.

C’est dans son rapport au Bien et surtout au Mal (le vrai, l’intrinsèquement humain, à l’œuvre des trottoirs de Big Apple aux charniers de la Shoah) qu’elle les éprouvera jusqu’à la "révélation de soi" qui passera, comme décrété en voix off, par "l’annihilation de soi", par une confrontation à la Lumière (littéralement). Ferrara et St. John ne lésinent pas, comme à leur habitude, sur l’imagerie chrétienne (et christique) pour faire de la métamorphose de Kathleen un chemin de croix existentialiste, ici à l’ombre de Sartre, de Nietzsche, de Kierkegaard et d’autres encore, et dont la finalité, toujours, ne peut être qu’une rédemption par l’oubli.


Abel Ferrara sur SEUIL CRITIQUE(S) : Pasolini.

The addiction
Tag(s) : #Films

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