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The killer

Voilà. Ça y est. Enfin. Enfin parce que ça faisait des années qu’on attendait un grand Fincher. Un vrai, un magistral. Un Fincher capable de nous surprendre, de nous refaire aimer son cinéma. Et parce que Fincher n’est jamais aussi bon que quand il confronte, comme ici, son art (maniaque, on le sait) de la mise en scène à une pure mécanique de jeu, d’exercice de style. Ce sont d’ailleurs ses films évoluant dans cette catégorie-là qui, le plus souvent, sont considérés comme mineurs, sont sous-estimés, sont peu aimés, voire rejetés avec dédain, au profit de ceux qui entendent "seulement" raconter une histoire (et qui sont pourtant ses plus ennuyeux : Zodiac, Benjamin Button, The social network, Mank).

The killer est ainsi un sommet de précision, de fluidité formelle et narrative au service d’un scénario ultra-programmatique que l’on connaît, certes, par cœur, déjà vu des centaines de fois dans des centaines de films qui racontent peu ou prou la même rengaine : un tueur à gages se venge de ses commanditaires qui ont voulu se débarrasser de lui (et s’en sont pris à sa femme) après un contrat raté (les premières vingt minutes du film, grandioses dans leur méticulosité toute hitchcockienne, et impossible de ne pas penser à la scène du Royal Albert Hall de L’homme qui en savait trop lors de la tentative d’assassinat de sa cible). Car The killer n’entend pas réinventer le film du tueur pro à qui on ne l’a fait pas, mais plutôt jouer avec ses codes pour le vider de ses atours (de la violence décomplexée, de beaux gunfights, un tueur que l’on prend en sympathie parce que trop cool…) et en proposer une relecture rêche, simple (mais rien n’est jamais simple chez Fincher) et inscrite dans son époque (et ce qu’elle dit de celle-ci).

Fincher et son scénariste Andrew Kevin Walker font de leur anti-héros une sorte d’expert de l’hyper connexion et de la surconsommation dans un monde technologique qui individualise tout, voit tout, et paradoxalement vous noie dans la masse ; la "multitude", dira-t-il à la fin. Infaillible, insensible, laconique, presque une machine, ressassant des principes qu’il s’est imposé et qu’il se doit de respecter à la lettre ("Stick to your plan. Anticipate, don’t improvise. Trust no one. Forbid empathy"), et jetant sur ce qui l’entoure un regard froid, désintéressé, le tueur s’y coule (s’y confond) avec agilité jusqu’à ce que sa routine déraille et provoque une altération. Une routine dont le film va se servir pour élaborer un rythme jouant sur la répétition, l’affût, l’expectation. Parce que, soyons clair, il ne se passe pas grand-chose dans The killer, ce qui pourra sûrement décourager, et très sûrement déplaire (le film est loin d’être un succès critique).

Et parce que Fincher ne filme rien d’autre qu’un tueur qui attend. Ou qui loue des voitures, ou conduit, ou attend, s’endort, voyage, attend, prépare, surveille, achète, attend, et le film sait construire un suspens, une tension, sur ça, sur le fait qu’il ne se passe rien, en tout cas rien de remarquable. Sur un quotidien monotone fait d’aéroports, de comptoirs de location et de planques interminables où il faut savoir "supporter l’ennui" (ça vaudrait aussi, de fait, pour les spectateurs, en tout cas pour les réfractaires). Il y aura bien quelques exécutions, attendues, logiques, et du sang qui gicle (voir la longue scène de lutte à mort, scandée par la bande-son organique de Trent Reznor et Atticus Ross, qui électrise par sa brutalité et sa soudaineté), mais ça représente quoi ? Quinze minutes max sur environ deux heures de film.

L’intérêt est évidemment ailleurs. Dans cette tentative d’humanisation, dans un ensemble consumériste qui (se) déshumanise toujours plus, d’un type qui soudain éprouve quelque chose, un commencement de… de quoi ? d’émotion ? de conscience de sa propre vulnérabilité, de sa propre insignifiance ?… au sein d’une réalité ritualisée, obsessionnelle et sans pitié (celle de tuer des gens sans en avoir "rien à foutre"). Michael Fassbender, minéral à souhait, se meut à merveille dans la peau (et la tête) de cet assassin méthodique à l’identité multiple (il n’a pas de nom sinon ceux qui lui servent à se faire constamment passer pour quelqu’un d’autre) qui pensait tout contrôler. N’obéir à rien sinon à ses certitudes. Être à part ("Je ne suis pas exceptionnel. Seulement… à part"). Et cette pensée-là se manifestera, lors d’un happy end narquois aux airs de pub Nespresso, en une légère impulsion à la joue gauche, à peine un spasme, trahissant l’acceptation de cette banalité. D’être, tristement, logistiquement, commercialement, violemment, un humain après tout.
 

David Fincher sur SEUIL CRITIQUE(S) : Se7en, ZodiacThe social networkMillénium, Gone girl, Mank.

The killer
Tag(s) : #Films

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