Un jour c’est promis, j’arrêterai de me faire avoir par ces films ultra-attendus qui vous promettent du rêve pour finalement vous ramener plus bas que terre. Il ne s’agit pas ici de nier ou de remettre en cause l’aspect visuel et technique du film, absolument prodigieux, mais de décrire cette sensation pénible d’un plaisir à la fin complètement gâché, déprécié et avili. Pourtant au début on y croit, à cette part de rêve. On rêve en fait, on est en plein dedans, on a même le souffle coupé. On tournoie, on virevolte, on flotte, on admire la Terre comme si on y était, comme si on était là-haut. Alfonso Cuarón utilise une fois de plus le plan-séquence avec une virtuosité déconcertante, s’enroulant avec douceur autour de ses protagonistes et déployant l’espace infini (et intime) avec une élégance folle.
C’est magique. Il y a un truc de magique là-dedans. Cet état de pur émerveillement (puis d’effroi quand la navette Explorer est percutée par des débris en orbite) dure à peu près une demi-heure, mais la suite fait davantage l’effet d’une douche froide. Gravity décide alors de se mettre en mode survival (comment revenir sur Terre quand on est perdue dans l’espace ?), enchaînant sans surprises les situations convenues et les poncifs psychologiques (le Dr Ryan Stone a perdu sa fille, comme c’est pratique), allant de déceptions en larmoyances (les monologues sirupeux de Stone, insupportables) et de larmoyances en déceptions.
Et pour un film où l’on pensait se délecter à l’envi d’un silence spatial envoûtant et inquiétant (en écho à 2001), c’est raté. La musique ronflante de Hans Zi… pardon, de Steven Price, est quasi omniprésente, réduisant à néant tout le crédit extatique du film. S’ensuit une série de rebondissements ne s’embarrassant guère de subtilité où l’on citera, en vrac et pour le pire, le court-circuit dans la station internationale qui n’attendait qu’un peu d’oxygène pour tout faire péter, la même station qui explose en milliards de morceaux sans qu’un seul ne vienne toucher Stone et la capsule Soyouz, ou encore le parachute de la capsule emmêlé, le manque de carburant, etc.
Il faut en plus pouvoir endurer un symbolisme lourdingue sur la maternité que si t’as pas compris les métaphores (assénées : voir la scène où Stone se met en position fœtale dans l’alignement d’un cercle) et le message (martelé : scène affligeante de mièvrerie où Stone capte la radio d’un homme qui finit par chanter une berceuse à son bébé qui pleure), et que si tu parles pas à un moment dans ta critique des figures récurrentes de la mère et de la féminité, c’est que t’es vraiment un couillon. Dans un film d’action lambda, on n’aurait finalement pas grand-chose à y redire, à la rigueur, parce que ça fait limite partie du contrat, des codes et des intentions, et qu’il y a assurément moins de prétentions artistiques (voire auteurisantes : même Les cahiers du cinéma sont chauds bouillants) qu’ici.
Gravity s’applique à tant de réalisme, se prévaut d’une telle exigence cinématographique qu’il résiste mal aux remarques, aux objections que l’on peut faire sur les facilités de son récit et sa grossièreté émotionnelle, renvoyant, de fait, le projet à sa simple condition de blockbuster certes hyper-chiadé, mais hyper-balisé. Ne parlons même pas de la séquence où Stone joue à Wall-E avec un extincteur ni du final ridicule sur fond de world music tonitruante où LA femme, LA nouvelle Ève, renaît d’abord des flots puis se relève d’une terre rouge fertile (tout ça après plusieurs jours passés en apesanteur, mais qu’importe, la voilà se remettant debout en à peine une minute après avoir, j’allais oublier, survécu à la noyade et rejoint la rive sans problèmes) et s’avance enfin, seule, face au monde à conquérir (on s’attend presque à ce que Julie Pietri se mette soudain à hurler Ève lève-toi). Les prouesses technologiques ne suffisent plus, à la longue, et peinent à masquer les complaisances d’une épopée qui restait, à ses prémisses, totalement excitante. Quand un scénario cède ainsi sous trop de scories et s’engouffre dans un formalisme à l’ambition dévorante, c’est que le pari a forcément quelque chose de perdu.
Alfonso Cuarón sur SEUIL CRITIQUE(S) : Les fils de l’homme, Roma, Disclaimer.