À quoi reconnaît-on un branleur ? Un branleur, c’est celui qui met sa musique de merde à fond dans sa bagnole, ou qui porte des lunettes de soleil à l’intérieur ou quand il n’y en a plus (de soleil). C’est aussi un type (Sebastian Schipper) qui réalise un film en un seul plan-séquence de plus de deux heures sans avoir quelque chose de consistant à raconter et qui fit mouiller Darren Aronofsky au dernier festival de Berlin ("Ce film renversera le monde" : Darren mon chéri, arrête les strudels). Genre je vais niquer Sokourov, je vais niquer Angelopoulos, Tarr, Iñárritu, Cuarón, De Palma, Haneke, Noé… Genre c’est moi qui ai le record du plus long plan-séquence maintenant (même si Warhol a filmé l'Empire State Building en un seul plan fixe de plus de six heures). Genre je vous emmerde. Genre je suis une bête.
L’histoire est plutôt engageante à la base (une jeune espagnole expatriée à Berlin depuis trois mois se laisse entraîner par quatre amis dans leur virée à l’aube, par envie, par ivresse, par fureur de vivre…), mais plombée sur toute sa durée par des discussions et des dialogues insipides (la première heure est, de ce point de vue, un sommet d’ennui et de platitudes), la plupart improvisés sans grande inspiration. Vouloir filmer en continu et à l’arrachée, certes, sauf que Schipper fait du remplissage avec trop de séquences inutiles (conversations fastidieuses sur le toit d’un immeuble, longs trajets en voiture ou à pieds pour aller d’un point à un autre…) qui n’apportent strictement rien, puisque vidées de vraie substance scénaristique.
Rien à la tension, rien au développement du film, sclérosé en partie par son procédé en temps réel, ce fameux réel traficoté à coups d’instantanéité et d’esbroufe technique. La caméra n’a ici d’autre fonction que celle de témoin résigné, obligée de suivre indéfiniment les personnages sans pouvoir s’en arracher, quitte à réaliser d’affreux plans grumeleux (c’est forcément le cas quand il faut grimper un escalier, monter ou descendre d’une voiture, suivre les personnages qui courent ou font du vélo dans la rue), à tourner autour de façon démonstrative en renonçant à les étoffer davantage, et à se soumettre uniquement à leurs mouvements et leurs actions, la plupart du temps inintéressants (et réduisant Berlin, de fait, à deux pauvres pâtés de maison).
C’est chiant à mourir, c’est mal cadré, c’est mal mis au point, et la lumière est d’une laideur exceptionnelle. Pire : aucune empathie pour ces cinq zozos, vraies têtes à claques et faux tragédiens, et principalement pour Laia Costa avec sa tête de Björk acnéique qui joue l’ingénue de façon trop marquée (quand elle se plaint de sa carrière ratée de pianiste, elle est à baffer). Tout l’après-braquage n’est qu’une succession de scènes poussives supposées mettre la pression au spectateur, alors que pas du tout, ou si peu. On s'esclaffe (grand éclat de rire quand Victoria hurle "Shut the fuck up!") et on s’impatiente devant tant de ridicule consommé.
Fusillade foireuse, stratagème grotesque avec un bébé pour échapper à la police (police qui pourtant a bouclé tout le quartier, interdit aux gens de sortir de chez eux mais laisse quand même passer Victoria et Sonne "déguisés" en couple pas crédible une seule seconde), et le coup de grâce enfin avec un magnifique "Je suis en cavale mais je me réfugie quand même dans un hôtel de luxe où je paie avec mon gros paquet de biftons tandis que mon copain agonise sur les fauteuils du hall d’entrée", jusqu’à cette crise de larmes affligeante tel un remugle vaseux de La vie d’Adèle. Une fois encore, tout le monde s’emballe pour une prouesse esthétique qui semble phagocyter toute demi-mesure et se gargariser de fierté et de reconnaissance (bingo : six Lola dans les poches). Et quand le jour se lève finalement, pâle, ne reste à nos yeux harassés que la vacuité débordante d’une expérience boursouflée.