On sait depuis longtemps maintenant l’horreur absolue qu’ont vécu tous ces hommes d’à peine vingt ans, embarqués dans un élan patriotique national et illusoire sur le front d’une boucherie terrifiante, celle de 14-18. C’était alors l’enfer des tranchées, c’était le froid, la faim, la boue, les rats, les poux, les cadavres partout, le bruit des obus, le sang, les viscères, les membres arrachés, et la folie aussi, totale. L’écrivain Gabriel Chevallier a raconté son effroyable expérience de poilu dans son livre La peur paru en 1930 où celui-ci, loin d’exalter un héroïsme impérieux, décrit au contraire l’inutilité du conflit, la résignation lancinante et le sentiment de peur qu’habitent constamment les soldats face à l’innommable.
Damien Odoul, en adaptant le roman de Chevallier, livre un film parfois saisissant, parfois puissant (visions de cauchemar des champs de batailles sous les bombes, dévastés, brûlés, retournés, parsemés de chevaux morts et de visages hagards, tels des fantômes…), mais le plus souvent maladroit. Comme si Odoul hésitait entre une œuvre quasi expérimentale (par exemple la première scène dans le bar avec ses dialogues désynchronisés), privilégiant alors la sensation, l’audace et le bouleversement intérieur, et une autre beaucoup plus consensuelle qui ne chercherait pas à trahir un certain "travail de mémoire" et les attentes d’un public peut-être plus enclin à davantage de "normalité".
Le jeu approximatif des acteurs (non professionnels et peu convaincants, récitant leur texte plus qu’ils ne l’interprètent) n’arrange pas non plus les choses, excepté peut-être Nino Rocher dans le rôle principal dont le joli minois s’abîme au fur et à mesure des atrocités qui déferlent (à l’instar de Fiora dans Requiem pour un massacre). Accompagnant son film d’une voix off caressante et littéraire (les textes sont magnifiques), contrepoint violent avec les images d’épouvante convoquant Goya, Dix ou George Paul Leroux, Odoul, ambitieux et gauche, veut saisir jusqu’à l’os toutes les absurdités de la guerre où l’âme des hommes se creuse, se rabougrit, et les corps s’éparpillent dans le ciel et la terre.