Du cul en premier, du cul et plein de cul ; pour un temps, on se croirait revenu au Rectum d’Irréversible… Lumières bleues et soleils rouges, backrooms et beats hardcore (musique ad hoc de Karelle et Kuntur), hommes partout qui rôdent, qui s’empoignent et qui s’imbriquent. Il y a Théo et Hugo qui baisent parmi eux, et un peu plus en fait. En train de tomber amoureux, mais sans le savoir encore (car oui, un coup de foudre est possible même au fond d’une cave à partouze). Théo est là, adossé contre un mur en pierres voûté, il contemple Hugo et il semble ébahi. Fragmentés d’abord, les voilà ensemble l’un contre l’autre, puis l’un dans l’autre au milieu des râles, des étreintes et des saillies, avec seulement leurs baskets aux pieds…
La scène, longue, sensuelle et magnifique, sublime la valse brutale des corps et des désirs, et plus tard celle, intime, des regards qui se croisent, de ceux qui se sont trouvés… Et puis crispation soudain, crispation dès les premiers mots échangés, dès que Théo et Hugo se retrouvent dehors et revêtus, la nuit dans Paris solitaire, Paris j’ai pas sommeil, Paris tout chaud, et puis se parlent. Tristesse alors, ô tristesse que d’ouvrir le film par une incroyable séquence de vingt minutes, affolante et coite (et moite), pour venir ensuite compromettre le film par des dialogues empreints, le plus souvent, d’une banalité désarmante (et que les deux comédiens, Geoffrey Couët et François Nambot, ont bien du mal à soutenir malgré leur absolu dévouement).
Beaucoup ont loué le côté volontairement naïf de la chose (on cite volontiers Jacques Demy pour justifier ça, quel malheur…), sauf que cette supposée naïveté, lourde dans les échanges et pour l’ensemble du film, résiste mal à la magie insouciante et enchanteresse du réalisateur nantais (en tout cas jusqu’à Une chambre en ville). Ici tout paraît plus affecté, plus signifiant. Et plus didactique aussi dans cette réalité du Sida (là et toujours là, et même si on n’en parle moins, et même si on n’en parle plus) entravant la relation de Théo et Hugo, ramenée pourtant à une quinzaine de minutes aux allures de campagne de prévention sur le traitement d’urgence en cas de rapport à risques, ou un court-métrage démodé, ressorti des vieux cartons de 3 000 scénarios contre un virus ou L’amour est à réinventer.
Ou même une espèce de mode d’emploi exhaustif (on a le droit aux effets secondaires et à chaque pilule avalée, du délire…) rajouté là pour faire acte de charité, d’on ne sait quelle bonne volonté. D’ailleurs on n’en parlera plus vraiment après, affaire quasi réglée, une péripétie en moins dans le parcours amoureux des deux amants qui se promettent de vivre ensemble pour les vingt prochaines années… Et le film de vouloir traiter certains sujets d’actualité dits "socio-sensibles" de cette même façon, béate et gauche : les femmes qui travaillent la nuit, Théo qui rumine son possible engagement humanitaire, un Syrien qui parle de son pays d’avant (la scène est d’un amateurisme presque gênant), une parisienne des gens et de sa retraite…
Olivier Ducastel et Jacques Martineau veulent dire des choses de notre société et de notre quotidien, mais trop vite, grossièrement, maladroitement, et confronter ces choses à la nouveauté, à la fébrilité de la rencontre. Il fallait, au contraire, faire fi des jolis discours et inscrire les deux amants dans un autre espace-temps, celui du sentiment amoureux qui vous laisse dans votre bulle, sur votre petit nuage, loin du monde et des autres (Paris n’est pas désert pour rien), et qui échapperait à la platitude de belles paroles, exacerbant davantage le romantisme de n’importe quelle situation, l’affranchissant de tout sermon. Du romantisme craché juré comme une balade en Vélib’, comme un sprint le long du canal Saint-Martin, comme des yeux dans les yeux qui s’éternisent dans un premier métro, et cette fin à la Orphée où tout peut (re)commencer… Là tout à coup, Ducastel et Martineau visent droit au cœur, balardent le superflu, évoquent simplement ces petits riens qui font le tout d’un amour naissant qui vous tombe dessus.
Olivier Ducastel et Jacques Martineau sur SEUIL CRITIQUE(S) : Haut perchés.