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Victoria

Elle fume pas mal, et même beaucoup, comme une pompière, a une vie qui merde chimiquement (dit-elle), sexuellement déserte (ou calamiteuse, au choix), son appart est un bordel qui rendrait fou tout maniaque du ménage et du rangement (avec deux petites filles dedans qui ont l’air livrées à elles-mêmes, jamais habillées, jamais peignées), son ex-mari est un aspirant écrivain/blogueur qui se prend déjà pour Flaubert, et son meilleur ami est soupçonné d’avoir poignardé sa femme (et qu’elle doit défendre, évidemment). La voilà, la nouvelle quarantenaire active selon Justine Triet : jolie oui, désordonnée, discrètement dépressive et comme en décalage avec l’air du temps (éducation des enfants au minimum, médocs et alcool contre quinoa et antioxydants, rencontres d’un soir dans la chambre contre vie à deux étalée sur Facebook…).

Victoria Spick s’interroge beaucoup, doute comme elle respire, parle trop (même en faisant l’amour), voit un psy, consulte une voyante, se paye un acupuncteur, pourrait mieux faire. Spick est lasse, Spick a le spleen. Névroses, bouffées d’angoisse, mal de vivre, solitude, prostration : le film, sous le glacis de la comédie gentiment décalée, aligne les signes durs de l’état dépressif. On rit souvent (la plaidoirie de Victoria, shootée aux somnifères et à la coke), mais d’un rire qui, parfois, vient à se serrer dans la gorge. Où qu’elle se situe, où qu’elle regarde, dans quel état elle erre, l’infirmité de sa vie lui est sans cesse renvoyée à la figure par les incidences du procès qu’elle instruit, les références personnelles dans le roman (à charge) de son ex, les réflexions de son psy ou de sa voyante, ce type lourd au mariage d’un ami…

Triet s’amuse de cette héroïne pas vraiment super (Virginie Efira, libérée, révélée) en pleine débâcle existentielle et en dispose pour détourner, à sa façon, les codes de la comédie romantique et du conte amoureux : le prince charmant est un jeune dealer chevelu et malingre (Vincent Lacoste, fidèle à lui-même), le palais est un palais de justice futuriste, les meilleures copines des collègues de bureau… Et même le final se joue des habituelles retrouvailles et autres happy ends rebattus (lieu public, du monde qui applaudit, des violons et des larmes) pour les cantonner à un simple hall d’immeuble, désert et triste. Pas franchement original en soi (des crises, encore des crises, toujours des crises), mais soutenu par des dialogues inspirés associant ironie, punchlines et burlesque, Victoria fait de la comédie populaire une étude de mœurs, grinçante, qui n’a pas peur de l’amer.
 

Justine Triet sur SEUIL CRITIQUE(S) : Sibyl, Anatomie d'une chute.

Victoria
Tag(s) : #Films, #Cannes 2016

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