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Un beau soleil intérieur

Elle a un rire franc, un peu gamin aussi, qui séduit tout de suite. Quinquagénaire divorcée, une fille, artiste réputée, pleine d’allant malgré les déceptions amoureuses, et l’envie irrépressible, presque organique, de retrouver le frisson du béguin, la magie d’une relation, d’un baiser échangé ou du souffle d’un homme dans le cou. Entre un banquier odieux (Xavier Beauvois, génial, et même quand il devise sur la nécessité de coucher avec des gens de son milieu ou quand il asticote un pauvre barman), un acteur peu assuré (Nicolas Duvauchelle, tranquille) et d’autres prétendants pas super glorieux (un ex encombrant, un galeriste réservé, un type rencontré en discothèque…), Isabelle balance, s’amourache, tergiverse, abdique parfois. Je suis fatiguée, dit-elle souvent. Et pour cause. Les hommes sont à la masse. Fatigants.

Au début on jubile. Loin et en même temps dans une sorte de continuité de son cinéma, d’habitude plus rêche et plus viscéral, Claire Denis paraît à l’aise dans ce registre de la comédie douce-amère qu’elle n’avait alors jamais exploré. Les situations sont cocasses, les dialogues alertes, Juliette Binoche irradie. Sous l’allure frivole, le film évoque tout de même des sujets un rien plus graves, solitude, vieillesse, peur de ne plus être aimé, il est où le bonheur, foule sentimentale, et la tendresse bordel. On jubile donc, on savoure ce petit moment de légèreté à l’arrière-goût acide. Et puis le film se met à cahoter, s’installe dans une routine, n’arrive plus à surprendre ni à enthousiasmer. On tourne en rond, ça périclite.

On sent l’envie de se démarquer (Christine Angot n’est pas au scénario par hasard), de tenter autre chose, des fragments, des ellipses, des scènes qui s’enchaînent sans lien et sans explication, d’ébranler à sa façon les codes rebattus de la comédie romantique en en faisant une sorte d’Harlequin gentiment dépressif (on pense au magnifique Vendredi soir qui partait, lui aussi, d’un postulat de ce genre, la rencontre d’un homme et d’une femme dans un embouteillage, pour dériver vers une chronique intimiste et sensuelle). Mais la mécanique du dispositif finit par s’enrayer, se replier sur elle-même, comme celle des dialogues d’ailleurs, toujours la même au fil des séquences (dans le désordre : incompréhension, hésitation, affrontements, mots doux…).

La succession de scènes, quasi indépendantes entre elles, semble maintenir Isabelle et ses amants à un rôle unique sans évolution possible, elle la femme malheureuse en amour qui rame pour quelques miettes d’euphorie affective, eux des boulets à la chaîne, immatures, lâches et inconséquents. Et pendant tout le film, Isabelle restera cette femme, cette femme malheureuse en amour, et eux des boulets à la chaîne. Rien d’autre, rien de plus. Angot se complaît dans cette logique, s’arrête à cette image-là, à la fin agaçante et désagréable, voire misanthrope. La conclusion, avec Gérard Depardieu en médium rassurant, ne changera pas grand-chose à l’affaire, même si le visage d’Isabelle paraît soudain, pour la première fois, s’illuminer pour de vrai ; visage non plus d’une femme malheureuse en amour, mais d’une femme qui a compris que l’on pouvait, en l’acceptant, s’épanouir dans la belle incertitude des sentiments plutôt que de s’y morfondre.


Claire Denis sur SEUIL CRITIQUE(S) : Beau travail, High life.

Un beau soleil intérieur
Tag(s) : #Films, #Cannes 2017

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