On le sait, la voiture rend con. Ça rend agressif, ordurier, mesquin et malveillant, comme sur les réseaux sociaux en fait, mais en vrai, avec un volant et des pédales. Et si en plus t’es un psychopathe en puissance qui vient tout juste de zigouiller son ex, alors un oubli de clignotant ou un coup de klaxon te rendent aussi irritable que Jason ou Hannibal Lecter. Par exemple ce type que Rachel klaxonne parce qu’il ne démarre pas alors que, bordel, le feu est vert. Monsieur n’apprécie pas, demande des excuses, n’en a pas, voit rouge, fronce les sourcils, crispe la mâchoire et décide de pourrir la journée de Rachel en en faisant un véritable enfer.
Ça commence comme Chute libre, puis ça embraye sur Duel, puis ça louche vers Hitcher, puis finalement ça ne ressemble plus à rien, sinon à un banal suspens mal écrit et mal filmé dont on prévoit par avance la fin, évidemment convenue et évidemment ridicule. Sans être franchement original, le postulat de départ permettait pourtant tensions, fulgurances et éventuelle mise en abîme de la violence inhérente à notre société (très maladroitement évoquée lors d’un générique on ne peut plus simpliste) si Derrick Borte avait eu davantage d’ambitions et beaucoup de talent. Sa mise en scène reste platement fonctionnelle sans jamais chercher à tirer profit et de l’espace clos des habitacles des voitures, et de l’espace urbain saturé de routes interminables.
Et s’il offre quelques scènes corsées qui, occasionnellement, viennent rehausser l’intérêt de la chose, on sent que l’intrigue n’ose pas s’aventurer trop loin, qu’elle se met des limites (en tout cas pas celle de la facilité scénaristique), préférant rester dans les clous d’une relative bienséance alors qu’il y avait matière à tenter un truc vraiment brutal. Surtout que Russell Crowe (le rôle a d’abord été proposé à Nicolas Cage, qui a refusé) sait jouer de son physique désormais massif (pour rester poli) duquel émane une inquiétante bonhommie (mais ça, c’est quand il ne passe pas son temps à arborer un rictus très très très méchant comme seule expression de la folie). Caren Pistorius, elle, peine à s’imposer face à feu Maximus, et son manque de charisme fait qu’on se contrefout globalement de ce qui pourra bien lui arriver.
Une virée en enfer (délicieux frissons quand Ted Levine, auquel le film doit presque tout, susurre "I need to find Candy Cane") et l’excellent Breakdown de Jonathan Mostow avaient su, chacun à leur façon, rendre hommage à Duel et à Hitcher en proposant de sympathiques cauchemars autoroutiers à travers une Amérique de bouseux et de fous furieux attendant le moindre prétexte pour révéler leur vraie nature. Enragé lui, en dépit de ses prédispositions narratives et de ses illustres références, n’est finalement qu’un énième thriller sans surprise incapable de se démarquer du tout-venant d’une production bas de gamme, et finissant sa course droit dans le mur de la médiocrité sur fond de mélasse pop.