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Madre

Rodrigo Sorogoyen est devenu, en à peine trois ans, le nouveau chouchou du cinéma espagnol, voire européen avec ce Madre unanimement salué par la critique. Un peu comme Pedro Almodóvar à une époque (très) lointaine, ou Alejandro Amenábar à une époque (très) lointaine aussi. Après le thriller policier (Que dios nos perdone) et le thriller politique (El reino), Sorogoyen s’essaie au thriller intimiste en adaptant un de ses courts métrages, ou plutôt en en imaginant la suite. Version courte : une mère assiste impuissante, au téléphone, à l’enlèvement de son fils de six ans sur une plage landaise. Version longue : dix ans plus tard, Elena, brisée par ce drame, travaille dans un restaurant en bord de mer, face aux plages landaises qu’elle arpente comme à la recherche de son fils.

Jusqu’au jour où elle croise Jean, un adolescent de seize ans qui lui rappelle ce fils disparu dont elle n’a pu faire le deuil. Et Sorogoyen de construire un faux suspens autour de la figure quasi angélique de Jean (est-il le fils d’Elena ?) qui, très vite, va laisser place à un autre suspens beaucoup plus ambigu, et finalement plus intéressant : la relation sentimentale qui se noue entre Elena et Jean, et où plane l’ombre de l’inceste et de la pédophilie (que ce sera-t-il passé dans la voiture, dans cette forêt, sous la pluie ?). Le désir de Jean pour Elena, visiblement amoureux d’elle tout en connaissant son passé, et le rapport tendrement filial d’Elena pour Jean, tissent un entrelacs de non-dits et de suppositions, d’obsessions et d’érotisme latent.

À coups de grand angle et de plans-séquences, refusant l’explicite, privilégiant le dépouillement (parfois un peu trop, quitte à flirter avec le systématisme), travaillant sur les regards et les rapprochements (physiques, psychologiques, situationnels), Sorogoyen ausculte les inclinations et les failles de ses personnages, piégés chacun par ce qu’ils pensent pouvoir obtenir, pouvoir conquérir de l’autre. Sauf qu’une fois ces enjeux établis, Sorogoyen a du mal à s’y tenir, et la narration de son film s’égare souvent dans du remplissage, des embardées inutiles (les digressions autour du compagnon d’Elena, la scène en boîte de nuit et la virée en voiture) qui viennent rompre le flux d’émotions que l’on ressentait à voir Elena se débattre avec ses fantômes (ou plutôt celui de son fils), ses rancœurs (les retrouvailles avec son ex mari, glaçantes) et ses intentions troubles envers Jean (à la fois possible amante, manipulatrice, protectrice, mère de substitution…).

Avec une demi-heure en moins, Sorogoyen aurait pu toucher directement au cœur, nous happer pour de bon. En l’état, on reste parfois absent, parfois lointain de cette œuvre profondément mélancolique en forme de cauchemar moelleux, le long de plages brumeuses (Elena ne cesse d’en rêver) filmées tel un espace mental infini. Et s’il nous arrive de décrocher, alors les magnifiques Marta Nieto, encore inconnue par chez nous (mais plus pour longtemps), et Jules Porier, au doux visage comme échappé d’une peinture de la Renaissance, sont là pour nous ramener avec eux le long de ces plages, ces plages brumeuses où Elena et Jean (ré)écrivent, à leur façon, leur propre histoire.


Rodrigo Sorogoyen sur SEUIL CRITIQUE(S) : As bestas.

Madre
Tag(s) : #Films

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