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Les crimes du futur

Cela faisait huit ans que David Cronenberg n’avait pas réalisé de nouveau long métrage (depuis le catastrophique Maps to the stars), et presque le double qu’il n’en avait tourné aucun de bon (depuis le troublant A history of violence). L’annonce de ces Crimes du futur et, surtout, de son retour à la body horror, ce genre qu’il a exploré dès ses débuts et dont il est aujourd’hui l’un des plus fameux, sinon LE fameux, représentants (et qu’il avait délaissé depuis eXistenZ), excitaient évidemment les folles attentes et les moindres imaginations. D’autant que ces Crimes du futur, de ce que l’on savait alors de son intrigue et supputait de ses premières images, annonçait une sorte de parfait digest, voire de récapitulation méta, de l’œuvre entière et des nombreuses thématiques cronenbergiennes (ce qui avait été, déjà, plus ou moins noté et remarqué à la sortie d’eXistenZ en 1999).

Sur ce point-là, le film ne déçoit pas vraiment, à défaut, avouons-le, de complètement subjuguer. Certes, on retrouve enfin, après des années de maigre pitance (mais d’immenses désillusions), un peu du Cronenberg organique d’avant, mais, c’est certain, jamais du Cronenberg fascinant, du Cronenberg des grands jours (Vidéodrome, Faux-semblants, Crash). Sur la base d’un scénario écrit il y a vingt ans, qui s’appelait alors Painkillers et qui, littéralement, paraît mettre en pratique cette proposition-clé énoncée dans Faux-semblants ("Je pense que les organes mériteraient qu’on fasse des concours de beauté"), Cronenberg entend livrer une réflexion sur l’art, le transhumanisme, le chaos environnemental et un avenir à (re)composer pour les générations d’après (en tout cas pour celles qui, éventuellement, seront encore là).

L’intrigue mêle ainsi, plutôt confusément, couple de body artists adepte de la création et de l’ablation, lors d’happenings cérémonieux convoquant les fantômes de Stelarc, d’ORLAN ou même de l’actionnisme viennois, de nouveaux organes corporels, service d’État chargé du recensement de ces nouveaux organes, société du futur dont il ne reste que vestiges et abandons, tueuses sans pitié, enquête policière, agent double et groupuscule mystérieux travaillant à la prochaine étape de l’évolution humaine (celle de pouvoir digérer le plastique et autres rejets industriels). Cronenberg, chargeant la barque, ne fait malheureusement que survoler la plupart de ses sujets (certains arcs narratifs sont sommairement développés avec, pour conséquence, beaucoup de personnages qui ne servent pas à grand-chose) en les réduisant souvent à des dialogues (le film est spécialement bavard) verbeux et quelques aphorismes plus risibles que pertinents.

Sauf qu’on ne sait jamais réellement si Cronenberg, à travers eux, établit une sorte d’ironie constante, ou se moque de lui-même à la limite (est-ce lui que l’on devine dans la figure centrale de Saul Tenser, cet artiste "obsolète" et souffreteux, mais apte toujours à se régénérer ?), posant en tout cas un regard las et acéré sur un monde décati, insensible désormais à la douleur. Un monde de ruines et de rouille où ceux qui restent se sont réfugiés dans les simulacres arty, où l’art soi-disant y serait "triomphant" ou même "épiphanique", d’une jouissance redéfinie (se faire lacérer le visage, triturer les entrailles, inciser la peau…), ou échafaudent des tentatives pour échapper à (ou se réapproprier ?) un bien funeste destin.

Comme si Cronenberg, tout au long de cette œuvre rêche et étrangement désincarnée, n’avait plus rien à (nous) dire, ou plutôt qu’il ne nous devait plus rien (beaucoup de ses films ont déjà tant montré, inventé, anticipé…). Et s’amusant ici, plus simplement, à observer, derrière les truismes de son propre cinéma (sexe et technologie, art et déviances) qu’il semble faire exprès d’arborer et de livrer en pâture critique pour le plus grand plaisir de ses fans ou contempteurs, une humanité, notre humanité donc, s’agiter vainement (on performe, on dissèque, on augure, on glose en faisant mine d’y croire…) dans les soubresauts d’un devenir inévitable.
 

David Cronenberg sur SEUIL CRITIQUE(S) : Faux-semblants, Le festin nu, Crash, Les promesses de l’ombre, A dangerous method, Cosmopolis, Maps to the stars.

Les crimes du futur
Tag(s) : #Films, #Cannes 2022

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