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Burning days

Tout commence au bord d’un gouffre, gouffre face auquel Emre paraît si petit, pas grand-chose, et surtout totalement impuissant, et résumant d’entrée ce que sera sa place, sa condition. Jeune procureur idéaliste un rien arrogant nommé dans une petite ville reculée de Turquie, celui-ci va très vite se heurter, et sa morale avec, aux notables du coin dans une sombre histoire mêlant élections, pénurie d’eau, viol et rumeurs d’homosexualité. S’enclenchant en une sorte de chronique sociale révélant le problème (et les dangers) des dolines et la disparition des nappes phréatiques dans les campagnes d’Anatolie, Burning days va, progressivement, se transformer en un thriller rural, sec et tendu, dont l’enjeu sera tout autant une question (une recherche) de vérité(s) que, in fine, de survie.

Au fil d’une construction narrative magistralement déployée qui, sans cesse, oscille entre jeux d’influences et jeux de dupes, entre manigances et mensonges, Emin Alper parvient à aborder différents sujets sans jamais se (nous) perdre en route, et faisant de la ville fictive de Yaniklar l’épicentre allégorique d’une Turquie rongée par ses travers politiques, écologiques et sociaux. Et si le film n’aborde jamais frontalement le thème de l’homosexualité, qui sert ici à déstabiliser et à discréditer ses adversaires (et dont Emre est "soupçonné" de par son attitude rejetant les codes machistes en vigueur et son lien avec le journaliste du coin, lui-même désigné comme la "coqueluche des lieux de perdition"), il évoque en revanche celui d’une homophobie à la peau dure, décomplexée, quasi institutionnalisée dans un pays aux traditions virilistes et conservatrices (il n’y a qu’à voir le scandale qu’a provoqué le film en Turquie pour s’en rendre compte).

En permanence, le film joue sur les non-dits, la suspicion et le doute, soulevant davantage d’interrogations qu’il n’apporte de réponses : Emre a-t-il participé au viol de la jeune gitane ? A-t-il été drogué lors de ce dîner où tout a basculé, et qui ressemblait à un piège ? Murat, le journaliste, veut-il l’aider ou essaye-t-il de le manipuler ? Et quelle a été sa véritable interaction avec lui cette nuit-là ? Aux spectateurs de démêler le vrai du faux, d’identifier amis et ennemis, embarqués avec Emre dans un abîme d’incertitudes et de souvenirs diffus, tandis qu’une révolte populaire gronde autour du droit et de l’accès à l’eau. Dommage pourtant que le film devienne plus démonstratif dans son dernier quart d’heure, appuyant soudain ses intentions et ses effets dans une recherche de tension paroxystique certes efficace, mais pas vraiment utile, et jusqu’à ce plan final magnifique qui, lui, sait revenir à une belle ambiguïté teintée d’une touche de fantastique.

Burning days
Tag(s) : #Films, #Cannes 2022

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