Danser Pina, oui, mais c’est quoi, danser Pina ? Que cela raconte-t-il, que cela veut-il dire aujourd’hui ? D’elle, de sa danse, de son héritage ? Une chose dont on peut être sûre en tout cas : après tant d’années, et après sa mort en 2009, le mythe Pina Bausch est toujours là, immense et tenace, ancré à jamais aux quatre coins du monde. Pour Florian Heinzen-Ziob, il était nécessaire de le comprendre et de le ressentir, d’en montrer le processus permanent pour que celui-ci "se transmette de génération en génération, passe de corps en corps et soit ainsi préservé au-delà de sa mort. Et pour que sa danse reste vivante, elle doit évoluer avec ceux qui la dansent".
De l’opéra Semper à Dresde à l’École des sables au Sénégal, des préparations d’Iphigénie en Tauride au Sacre du printemps, Dancing Pina observe patiemment cette transmission entre de jeunes danseurs issus de tous horizons et d’anciens membres de la troupe de Bausch du Tanztheatre, à Wuppertal. De l’opulence dorée de Semper aux ocres flamboyants des terres sénégalaises, l’intention reste la même, se déploie au-delà des frontières et des lieux : se réapproprier Bausch tout en en faisant l’apprentissage rigoureux, parfois difficile, mélange de sueur, d’épuisement et d’instants de grâce. En questionnant ses limites. En affirmant son corps et son être, parce qu’au-delà de l’exercice de la danse, le film interroge aussi les préjugés et stéréotypes qui se construisent autour, et contre lesquels danseuses et danseurs ont dû se battre (par exemple être traitées de prostituées en Afrique, ou de gay aux États-Unis, ou mises de côté parce que trop grandes ou pas assez élancées ailleurs…).
Mais pas de ça chez Bausch où il faut, avant tout, être soi-même, être authentique, puis réussir à le communiquer sur scène, le projeter totalement, presque violemment. Heinzen-Ziob s’approche et regarde, accompagne et écoute Sangeun, Julian, Luciény, Gloria, Franne et les autres dans le quotidien et l’intensité des répétitions, donnant à voir, entre émotion et émerveillement, la pratique exigeante et comme sans cesse remise à zéro des chorégraphies de Bausch. Celles-ci trouveront leur parachèvement dans la captation finale des deux spectacles, en particulier celui du Sacre du printemps sur une plage au coucher du soleil (puisque privé de scène à Dakar en raison du Covid) d’une beauté et d’une puissance à couper le souffle, prouvant, s’il fallait encore le faire, que danser Pina est d’abord une réinvention de soi au service d’une œuvre en perpétuel mouvement.