Ils s’appellent Signe et Thomas. Ils sont jeunes, ils sont intégrés, et surtout ils sont complètement dans leur époque. Cette époque où l’apparence et l’image ont pris le dessus sur tout : votre vie, votre quotidien, vos aspirations et votre (éventuel) talent. Tandis que Thomas cultive un certain succès dans le milieu branché de l’art contemporain norvégien, Signe végète comme serveuse dans un café, vivant dans l’ombre de Thomas et de ses réussites. Mais toujours prête, et parce que cette situation la contrarie et la bouffe, à le déprécier et à le court-circuiter (la scène du dîner mondain, jouissive), nourrissant entre eux un esprit de compétition féroce où les égos et les jalousies ont remplacé l’amour et les sentiments. Jusqu’à ce que Signe (étonnante Kristine Kujah Thorp) découvre un moyen (radical) de la mettre en avant, quitte à sacrifier un peu (beaucoup) d’elle-même.
Entre la satire vache tendance Ruben Östlund et le malaise très "nouvelle chair" à la David Cronenberg, Sick of myself brocarde les dérives narcissiques, l’éloge du vide et le culte du like que les réseaux sociaux, ces dernières années, ont exacerbé avec son lot d’influenceurs neuneus et de pseudos vedettes (heureusement) éphémères. Kristoffer Borgli, certes, donne l’impression d’enfoncer des portes ouvertes (la recherche pathétique, voire maladive, voire absurde, d’attention et de célébrité n’est clairement pas un sujet nouveau, et n’a pas attendu TikTok ou Instagram pour se manifester et révéler ses travers), mais son film sait renouveler la critique en distillant, dans un savoureux mélange des genres, humour à froid, crise de soi et déformations corporelles flirtant avec le body horror.
On regrettera tout de même que le déboulonnage en règle de la représentation sociale actuelle se fasse de façon un peu trop programmatique (en gros, on n’est jamais réellement surpris par les événements et leur inéluctable progression) avec les étapes nécessaires, et presque obligatoires, dans le processus de déchéance existentielle et physique de Signe (et, dans une moindre mesure, celle de Thomas). De plus, la tentative de désarçonner le spectateur par l’intrusion d’une ligne narrative parallèle (dont il ne faut dévoiler la particularité au sein du récit) s’avère, elle, pas franchement utile dans la compréhension du parcours psychologique de Signe vers l’abîme (puis une sorte de rédemption). Tout cela n’enlève rien au mordant ni à la cruauté tranquille du film, jeu de massacre singulier et peu aimable où, dans la belle lumière d’été d’un Oslo enchanteur (celui si cher à Joachim Trier), Borgli s’amuse à déployer toute l’horreur d’un néo-égocentrisme (le nôtre ? Le vôtre ? Le mien ?) carabiné.