Il aura suffi d’une nuit pour que tout bascule. Un instant de quelques secondes, une envie de frites, une inattention, une maladresse, pour que tout déraille. Une nuit, Sofiane se blesse alors qu’il est seul dans l’appartement, et parce que son grand frère est rentré avec un peu de retard, et parce que leur mère, Sylvie, travaille de nuit comme barmaid dans un café-concert. Hôpital, stress, brûlures au second degré, la vie continue. Sauf qu’un signalement pour négligence est fait auprès de l’aide sociale à l’enfance : Sofiane se retrouve alors placé en foyer. Pour Sylvie, entourée de ses deux frères et de son autre fils, un combat s’engage. Et les interrogations fusent. Comment se battre ? Comment réagir ? Comment ne pas baisser les bras ? Serait-elle une "mauvaise" mère ?
Delphine Deloget filme avec beaucoup de justesse la déroute de cette mère face à la machinerie administrative et face à ses contradictions et ses propres limites. Et puis sans misérabilisme aussi, sans manichéisme. Car Deloget ne charge ni ne blâme personne. D’un côté, elle montre des services sociaux débordés, en sous-effectif, appliquant le principe de précaution par peur de passer à côté d’une maltraitance, quitte parfois à être contreproductif, à flirter avec l’erreur judiciaire. De l’autre, elle accompagne cette mère pleine d’énergie et de volonté, qui élève seule et comme elle peut, mais avec un amour débordant, ses deux fils, dans l’inextricabilité d’un système qui la pousse, la jette même, et violemment, dans ses derniers retranchements (et dans son refus obstiné de se plier à celui-ci).
On pense évidemment (et on y pense beaucoup) au puissant Ladybird de Ken Loach, mais Rien à perdre sait nous accrocher à sa façon grâce à une galerie de personnages attachants jusque dans leurs maladresses (en particulier les deux frères de Sylvie). Et puis Virginie Efira, mais est-ce encore une surprise désormais, apporte tout son talent et un engagement total dans l’incarnation de cette femme en ébullition, qui ne comprend pas et qui alors déraille, se perd. La narration autour d’elle, sur le fil, toujours en tension, se resserre férocement, dramatiquement, et jusqu’à cette conclusion, ambiguë, que chacun et chacune jugera à sa façon.